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    « Les Trois Maria », quand le plaisir du corps appelle le désir de liberté

    De et avec Coline Fouquet. Du 7 au 23 février 2024 aux Riches-Claires.

    Sur une scène presque nue, trône une sorte de catafalque. Dans le silence, des images d’immeubles envahissent lentement tout l’espace scénique. Venant de la salle, Coline Fouquet monte sur la scène avec un micro et un amplificateur. Elle s’assied sur le catafalque et annonce que c’est son « point de départ ».

    Après un préambule qui ressemble à un message personnel adressé à un ex, l’autrice, comédienne et metteuse en scène entre dans le vif du sujet. « Les Lettres portugaises » publiées à Paris en 1669 reprennent la traduction de cinq lettres de Mariana Alcoforado, une religieuse portugaise du couvent de Beja au Portugal, à son amant français, le marquis Noël Bouton de Chamilly, venu batailler pour soutenir le pays contre l’Espagne. L’actrice enfile une jupe noire et entame, en tournoyant sur elle-même, la lecture de la première lettre. C’est une déclaration d’amour, brûlante et lyrique, débordante de passion et d’espoir, à un homme aperçu.

    Vêtue d’une austère tunique rappelant celles des religieuses, elle évoque maintenant trois autrices portugaises, Maria Isabel Barreno, Maria Teresa Horta et Maria Velho da Costa, qui apparaissent, sous les traits de la comédienne, en projection sur trois panneaux. En 1972, elles se sont emparées de la correspondance de Mariana Alcoforado pour rédiger un ouvrage collectif, « Les Nouvelles Lettres portugaises », sur l’enfermement, l’isolement. Le leur, celui du Portugal de la dictature salazariste. Et de la passion, « parce que les femmes portugaises sont passionnées ».

    Prenant place dans un fauteuil, elle raconte l’arrivée de António de Oliveira Salazar au pouvoir au Portugal. Entré dans la vie politique en tant que ministre des Finances en 1928, il est nommé président du Ministère (chef du gouvernement) en 1932. Pour consolider un État déjà autoritaire, il instaure, en 1933, une nouvelle Constitution qui lui confère les pleins pouvoirs et le contrôle total de l’État en qualité de président du Conseil. L’Estado Novo (l’État nouveau) ainsi créé s’effondra quatre ans après sa mort en 1970, lors de la révolution des Œillets de 1974.

    Dans ce régime antidémocratique où toutes les libertés fondamentales ont été supprimées, le livre, que le régime imprégné de puritanisme juge scandaleux, est interdit deux mois après sa publication. Les autrices sont inculpées d’outrage aux bonnes mœurs et d’abus de la liberté de la presse (elles seront acquittées le 7 mai 1974). Malgré la censure, le livre circule au Portugal. Les trois Maria en font même parvenir un exemplaire en France où elles reçoivent notamment le soutien de Simone de Beauvoir et Marguerite Duras. L’ouvrage composé de 120 textes (lettres, poèmes, rapports, textes narratifs, essais et citations), y sera également publié.

    Coline Fouquet détaille la situation du Portugal de 1970, exsangue et gangrené. Le peuple étouffe privé d’une partie de sa jeunesse partie combattre faire la guerre aux colonies, travailler à l’étranger ou vivre en exil pour échapper à la Pide, la police politique du régime fasciste. Elle fait des allers-retours entre l’histoire, les intentions et la nature du projet éditorial des trois Maria et le contenu de la religieuse enfermée et, finalement, trahie par son amant.

    Dans un dispositif scénique très ingénieux, elle passe d’un registre à l’autre sans fausse note (si on oublie la corde qui a du mal à se suspendre aux cintres du plafond), pour dresser le portrait du pays d’alors et de ses habitantes. Elle sublime le livre en tant qu’action de résistance – « la littérature agit sur celui qui écrit et celui qui lit » – qui questionne l’amour, l’érotisme, la domination, la loi du père et le pouvoir en général. La passion est une force mais l’amour se résume à dévorer ou être dévorée. Et de conclure : « si la femme se révolte contre l’homme, rien ne reste intact ».

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