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    À la rencontre de Cédric Kahn

    Cette semaine, Le Suricate Magazine vous proposait un article commentaire sur le dernier film de Cédric Kahn, Vie sauvage. Alors qu’il était en Belgique pour la promotion de ce dernier, nous avons pu le rencontrer afin qu’il nous livre les détails de cette aventure.

    Rencontre avec un homme à la voix rauque, sympathique bien qu’impressionnant dans sa façon de vous faire sentir qu’il n’est pas un « parisien », comme il le dit lui-même. Au milieu du petit salon cosy du très baroque Hôtel Manos Premier, à deux pas de l’Avenue Louise à Bruxelles, le ton franc du réalisateur dénote quelque peu avec la préciosité exagérée des lieux. Entre références vécues et hasard du fait divers, Cédric Kahn nous raconte le récit de cette histoire fugitive entre un père, une mère, des enfants et la nature.

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    Comment vous est venue l’idée de ce film ?

    Je suis tombé sur cette histoire dans les journaux et je l’ai trouvée extraordinaire : c’est à la fois une cavale, un film utopique donc de quoi faire un film à la fois palpitant et émouvant. Je ne me suis pas précipité sur le projet, j’ai fait d’autres choses entretemps. Et puis, j’ai lu les livres de la mère et du père et ses enfants qui ont été écrits dans le temps des procès donc plutôt des livres plaidoyers ; Ensuite, je suis allé tous les rencontrer. J’ai essayé d’être très cohérent et de respecter le discours de tout le monde, de ne pas être dans une relation de séduction que je ne pourrais pas assumer par la suite. Je savais que, s’ils me donnaient leur accord, le temps allait être long et qu’un jour j’allais leur montrer le film. Il n’était donc pas question de baratiner.

    Y’a-t-il, derrière cette initiative, un désir politique de mettre en avant l’injustice qu’il peut y avoir par rapport aux pères dans les cas de séparation ?

    Le film pose toutes sortes de questions : celle de la place du père, celle de la marginalité, du choix, de la liberté de vivre selon ses propres mais je ne délivre pas de message. Pas de cet ordre-là, en tout cas.

    Le film parle d’un mode de vie atypique, avez-vous rencontré des gens qui vivaient ainsi, en communauté ou de façon semi-sédentaire ?

    Je connais très bien ce milieu car, enfant, j’ai vécu avec des gens comme ça. De ce point de vue-là, je n’ai pas eu besoin de faire d’ethnologie. J’ai grandi, à la campagne, dans un milieu alternatif donc c’est un univers que je connais bien ; je n’ai pas de distance avec ce monde. Si, j’ai de la distance à présent car je ne suis plus un enfant, mais je ne suis pas un parisien, un citadin qui vient juger ou regarder ces gens-là comme des bêtes curieuses. Pas du tout. Par ailleurs, j’ai pris pour les petits rôles et la figuration beaucoup de gens vivant comme ça : je n’ai pas déguisé des acteurs en marginaux ou en baba cool et je pense que ça aurait été catastrophique car, les connaissant bien, je sais que ça ne se joue pas. C’est une façon de vivre, de s’alimenter qui fabrique un corps, un physique qui ne s’invente pas. Il fallait aussi que les acteurs professionnels raccordent avec ça donc je les ai aussi choisi pour ces raisons-là.

    D’où le choix de Mathieu Kassovitz et Céline Sallette ?

    Oui, tout à fait. Il fallait des gens affutés. Assez tôt, j’ai pensé à Mathieu Kassovitz même si je ne pense jamais aux acteurs en écrivant. J’ai besoin d’avoir cette liberté, à l’écriture, de ne pas visualiser tout de suite les acteurs. Quand on s’est posé la question du rôle principal, l’idée est venue assez naturellement. Il est assez parfait pour le rôle et physiquement et dans ce qu’il incarne : cette espèce de radicalité, son côté antisocial.

    Le fait que le thème reprenne entre autres des éléments de votre propre enfance serait-il, en quelque sorte, nostalgique ?

    Non, pas du tout. Je ne suis pas naïf ; c’est-à-dire que je montre le côté merveilleux mais j’en montre aussi les limites. Ça arrive à un moment où j’ai assez de recul et de sagesse. Il y a quelque chose effectivement qui prend racine dans ma propre enfance – c’est aussi pour ça que je rentre dans le thème par les enfants, je suis tellement ému par les deux garçons – leur trajet – mais ce n’est pas nostalgique.  Je trouve cela courageux de vivre dans un certain dénuement, de refuser le monde matérialiste et la société de consommation ; je trouve qu’il y a un certain courage. Après, je montre aussi que l’humain reste l’humain et que, même dans les communautés, même habité par cet idéal-là, il y aussi des choses moins reluisantes. Et puis, rendre hommage à la nature tout simplement : ce ne sont pas ces gens qui ont inventé la nature. La nature porte en elle sa propre majesté, elle n’appartient pas aux gens qui y vivent.

    Comment s’est passé la collaboration avec les enfants ? Etait-ce complexe ?

    Dans mon film précédent, Une vie meilleure (Guillaume Canet, Leïla Bekhti), j’avais travaillé avec un enfant. J’adore ça car tout devient beaucoup plus naturel : ça met la technique au niveau où elle doit être, c’est-à-dire que les acteurs professionnels doivent s’adapter. Quand les enfants ont faim, quand ils sont fatigués, on s’arrête de tourner. Ça simplifie tout. Pour moi, c’est plus complexe de travailler avec les adultes car ils sont plus compliqués que les enfants.

    Comment vous définirez-vous en tant que réalisateur ?

    Est-ce-que je suis un tyran ? (rires) En apparence, je laisse beaucoup de liberté – ce qui peut en déstabiliser certains – mais, dans le fond, je suis assez maniaque. J’ai quand même une obsession de ce que je veux raconter. Tout se passe dans une espèce de liberté, de bordel même mais, dans ce bordel-là, la chose doit apparaître. Tant que cette chose n’apparaît pas, tant qu’elle n’existe pas, tant que je ne vois pas le personnage, il faut continuer. Donc, une fausse liberté. (rires)

    Propos recueillis par Justine Guillard

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