La Vie de ma mère
de Julien Carpentier
Comédie dramatique
Avec Agnès Jaoui, William Lebghil, Salif Cissé
Sortie en salles le 13 mars 2024
La narration, ce n’est pas l’histoire. Une histoire c’est, globalement, une suite d’évènements entretenant des liens causaux les uns avec les autres. La narration, c’est la manière de raconter ces évènements, en en choisissant le protagoniste, en en choisissant la linéarité, en en choisissant les éléments dont on veut parler et sur lesquels on veut avoir un discours. Ainsi, une même histoire donnera lieu à une infinité de films différents et on peut facilement en déduire que ce qui fait ledit film, ce n’est pas ladite histoire, mais les intentions qu’il y a derrière. Voilà pourquoi on peut trouver une certaine vacuité lors de visionnages de films dits « high concept », c’est-à-dire, de film dont le pitch peut être exposé en une phrase et qui fait reposer l’entière originalité de l’œuvre sur cette seule idée (« imagine un monde où…). Oui, l’idée de départ est géniale, mais à se focaliser sur celle-ci, on se passe de réelles intentions et on se retrouve à écrire une histoire racontée mille fois, simplement, ici, dans un contexte nouveau.
Ainsi, un même sujet, ancré dans un genre différent ne parlera pas de la même chose et c’est tout ce qui fait l’originalité de La Vie de ma mère. Pierre, fleuriste trentenaire, décroche son téléphone pour apprendre la nouvelle : sa mère est revenue. Problème, elle souffre d’un trouble bipolaire et par « revenue », on entend plutôt ici « évadée de la clinique censée la prendre en charge ». Et s’il était aussi question d’intention jusqu’ici, c’est parce que le film s’éloigne assez des autres longs-métrages avec qui il partage le thème de la bipolarité. Out le réalisme étouffant des Intranquilles, out aussi l’attendrissante poésie d’En attendant Bojangles, laissez place à la comédie. Si, à première vue, faire de l’humour en utilisant une maladie mentale peut apparaître dangereux tant l’essai peut virer à la grossière parodie de la folie, il n’en est rien ici. L’aspect comique vient plus pour adoucir la réalité qu’est la maladie que pour en rire, car le cœur du film n’est pas véritablement la bipolarité, mais le rapport mère-fils.
Pour appuyer cette vision, on peut d’abord citer le fait que le protagoniste n’est pas la personne malade, mais le « responsable » de cette personne. Premier pas de côté, on n’affronte pas directement la maladie comme il en est le cas des Intranquilles de Joachim Lafosse. Cependant, on ne met pas la bipolarité à distance pour se concentrer sur les conséquences directes que celle-ci cause autour d’elle, comme pour En attendant Bojangles. On l’utilise pour parler d’un lien brisé, celui de la filiation, et de sa reconstruction malgré elle. La maladie n’est, ici, qu’une raison de l’éloignement, qu’un obstacle au rapprochement et c’est dans cette relation entre personnages que se joue le film. On en voudra pour preuve le titre du long-métrage La Vie de ma mère, qui insinue ce cloisonnement comme si le Pierre nous disait : d’un côté, sa vie, de l’autre, la mienne. Ainsi, la véritable chose que l’on cherche à guérir ce n’est pas la maniaco-dépression, mais le déni et la fuite. Pour se faire la comédie et le choix du protagoniste, offrent la légèreté et la distance pour que la bipolarité ne prenne pas le pas sur l’intention première du film, celle de parler d’un rapport parents-enfants qui, au fil des années, s’inverse : le protégé devenant le protecteur.
On peut regretter, d’ailleurs, que l’aspect comédie s’efface au fur et à mesure d’une narration qui se focalise sur la reconstruction émotionnelle de la relation. Cette reconnexion est, certes, le sujet principal du film, mais cet abandon du genre comédie lui fait quelque peu perdre de sa couleur, lui enlevant la désinvolture qui le tenait à l’écart d’un pathos gentillet. Il n’en reste pas moins que La Vie de ma mère est d’une douceur et d’une humilité très réussie et qu’il peut s’avérer plus didactique que prévu, non pas dans la compréhension ou l’acceptation d’une maladie mentale, mais dans le rejet du déni qui nous entoure et dont nous sommes, la plupart du temps, seuls responsables.