auteur : Amara Lakhous
éditions : Actes Sud
date de sortie : 1er octobre 2014
genre : Humour
Qu’elle est belle l’Italie ! Toute unie qu’elle est autour de ses pâtes, de son équipe de foot et de sa fierté nationale. Mais quand la Juventus passe en division 2 et qu’un petit cochon fait une balade nocturne dans la mosquée du quartier, rien ne va plus et les vieux démons refont surface. A travers un microcosme géographique et narratif, Amara Lakhous dresse un portrait cynique, doux et drôle d’une Italie du racisme ordinaire.
Enzo Laganà, d’origine calabraise, mène à Turin une carrière de journaliste-reporter avec beaucoup de brio et d’esbroufe. Alors que quatre Albanais sont assassinés et que Laganà mène l’enquête, un petit cochon affublé des couleurs de la Juventus de Turin se fait filmer en train de traîner son groin dans la mosquée de San Salvario. Dès lors, les passions se déchaînent : les musulmans, les défenseurs des animaux et les extrémistes italiens élèvent ce petit cochon « italianissime » au rang de symbole et se livrent un combat sans pitié et sans compromis.
Si la prémisse prête à sourire, avec Amara Lakhous, pas question de rire sans faire réfléchir. C’est d’ailleurs par un paratexte initial matriciel que l’auteur introduit son roman. En y épinglant le racisme ordinaire qui frappait les immigrés du Sud de l’Italie venus chercher du travail au Nord dans les années 50, Lakhous pointe du doigt un problème de société vieux comme le monde et cyclique. Rien de nouveau sous le soleil, la relation autochtone-immigré s’articule souvent dans un climat de méfiance. A travers cette introduction, le lecteur découvre le thème principal du roman, d’où la facture matricielle du court avant-propos.
Ce qu’on adore chez Lakhous, c’est la forte identité géographique dont il imprègne ses romans : comme dans Choc des civilisations pour un ascenseur à piazza Vittorio qui s’articulait autour d’une cage d’ascenseur, Querelle autour d’un petit cochon italianissime à San Salvario pose comme microcosme le quartier de San Salvario au centre de Turin, sa ville. Il y développe une ambiance typique, créant méticuleusement une forte sensation d’appartenance à un espace. Il y explore donc efficacement une notion de « local » qu’il articule problématiquement en relation avec l’« international » par la présence d’autres ethnies et religions au sein même du quartier.
A coup de phrases courtes, Lakhous démontre la reproduction du schéma introduit dans son paratexte : si les étrangers d’hier étaient les calabrais, ceux d’aujourd’hui sont les musulmans, les noirs, les roumains, les albanais, etc. A l’ère de l’Union Européenne, les frontières se sont élargies reportant le problème sur d’autres altérités, plus lointaines. Et on imagine aisément qu’Amara Lakhous, né en Algérie, occupe une place privilégiée pour parler de cette intolérance. Il y fait la critique de la fermeture d’esprit des localités refermées sur elle-même quand elles sont confrontées à d’autres cultures. Mais Lakhous n’est pas pour autant manichéen : il met sur un même pied les musulmans, les Nigérians et les conservateurs italiens. Confrontés à d’autres groupes ethniques et religieux, les tensions sont attisées par tous.
Malheureusement, le roman manque de moments forts et reste assez monotone. Le tout est compensé par un ton excessivement réjouissant. La fin du roman aussi semble se débarasser de manière un peu hâtive de son intrigue secondaire, celle de l’enquête autour du meurtre des Albanais, dont on se demande longtemps comment elle se greffe à l’intrigue principale. Bien qu’elle dépeigne très bien le caractère désinvolte et magouilleur de Laganà, on regrette que les deux intrigues avancent parallèlement sans jamais vraiment se rencontrer. On en arrive à penser que l’histoire tourne plus autour du personnage de Laganà plutôt que du petit cochon, ce qui est un peu dommage.
Utilisant le style du roman policier, Lakhous nous offre avec Querelle autour d’un petit cochon italianissime à San Salvario un troisième roman tout en humour qui observe avec dérision et tendresse un monde qui répète inlassablement les mêmes schémas. Malgré l’existence en parallèle de deux intrigues qui auraient gagner à co-exister plutôt qu’à s’éviter, le ton apporte une joyeuse homogénéité au roman.