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    Trois sœurs aux Martyrs ou l’inéluctable fatalité du déterminisme sociale

    Texte de Anton Tchekhov. Mise en scène de Christophe Sermet. Avec Allan Bertin, Vanessa Compagnucci, Léna Dalem Ikeda, Hippolyt Doucy, Adrien Drumel, Anastasia Ganova, Gwendoline Gauthier, Guillaume Gendreau, Philippe Grand’Henry, Sarah Lefèvre, Yannick Renier. Du 30 janvier au 10 février 2024 au Théâtre des Martyrs.

    Sur la scène des Martyrs, la pièce Trois sœurs d’Anton Tchekhov se pare de nouveaux atours. Mise en scène moderne, revalorisation d’un texte classique, on nous bouscule et on nous invite à philosopher. Pari accepté.

    « Vous dites : la vie est belle. Oui, mais si c’était une erreur ? Pour nous, les trois sœurs, la vie n’a pas encore été belle, elle nous a étouffées, comme une mauvaise herbe… »

    Irina, Olga et Macha, trois sœurs, trois destins qui se collisionnent et se consolent. Orphelines et tenancières de l’établissement familial qui accueille les quelques soldats d’une garnison désœuvrée. Andreï, le frère ainé, quant à lui ambitionne de devenir un grand scientifique à Moscou. Capitale qui revêt aussi mille promesses aux yeux de nos héroïnes.

    Dans cette pièce, chaque personnage possède un enjeu qui lui semble vital à accomplir pour être à sa place. Une multitude de souhaits se côtoient : être comme tout le monde, faire un bon mariage, avoir des enfants, devenir professeur dans une grande université, s’émanciper, trouver l’amour, oublier le naufrage d’un mariage malheureux, devenir raisonnable, incarner le citoyen participant à l’effort collectif, etc.

    Des espoirs qui deviennent des rêves et où l’on s’interroge sur la frontière existant entre opportunisme et fatalité. Que faire quand notre ambition dévorante est de devenir autre que soi ? Différent de ce que la naissance nous a conditionné à être ? L’aristocratie veut trouver le sens de sa vie dans le travail, la jeune fille fougueuse prisonnière d’un mariage de raison souhaite la passion, la cadette de la famille veut bousculer les codes.

    Le point central de la pièce se loge dans l’ambition d’une ascension qu’elle soit sociale ou personnelle, souvent associer à l’idéation de cette situation ou de cette condition. Toutes ces réflexions sont perdues dans le flot chaotique et incessant de la vie. Le temps passe et avec lui rien ne se rattrape. C’est une farandole, un vertige perpétuel dans lequel hommes et femmes perdent plus qu’ils ne gagnent. Dans ce cirque infernal qu’ils appellent existence, ils sont tous confrontés à l’inéluctable fatalité du déterminisme sociale. Dans cette pièce, Tchekhov se place comme la figure de l’auteur stoïque par excellence. Tout est sérieux et rien n’est grave.

    Une performance d’équipe

    Ensemble mise en scène et scénographie, que l’on doit respectivement à Christophe Sermet et Simon Siegmann, nous plonge dans une ambiance presque « sportive ». Sur scène, une grande arène délimitée par un muret blanc à hauteur de taille, permettant aux personnages non présents dans les saynètes d’observer leurs comparses jouer à tour de rôle. Un peu à l’image de ces athlètes jouant en équipe qui observent les prestations de leurs camarades et qui se relais perpétuellement. Deux éléments intéressants se dégagent de ce choix. Premièrement, on assiste a deux mises en abysse. Les spectateurs que nous sommes observons les comédiens qui jouent sur scène, qui eux-mêmes sont observés par leurs collègues inactifs en arrière-scène mais qui sont à leurs tours observés par les spectateurs que nous sommes. On vous l’accorde, cet imbroglio est un peu complexe à se représenter. Mais cet élément nous rattache à l’idée générale de la pièce : nous sommes tous les spectateurs de notre vie et de celle de l’Autre. Nous nous regardons tous évoluer durant ces deux heures de spectacle, sans emprise aucune sur l’inévitable écoulement du temps. Deuxièmement, de spectateurs inactifs, les comédiens à l’arrière-scène vont progressivement devenir acteurs du récit. L’observateur passif devient acteur de son histoire, à l’image des personnages à l’avant-scène qui tentent continuellement d’avoir une influence sur leur prédestination sociale. Un choix complexe mais cohérent qui amène de la modernité mais aussi une dynamique énergique presque indispensable lorsque l’on parle de l’adaptation d’un texte classique à l’époque contemporaine.

    Une individualité forte

    Dix personnages sur scène cela veut dire dix enjeux et dix nécessités d’incarnation scénique forte. Plus la scène est partagée et divisée, plus il est nécessaire d’investir sa prestation pour qu’elle ne soit pas perdue dans une sorte de cacophonie « dramaturgique ». Avec la difficulté majeure, qu’au théâtre on ne sait pas faire de zoom, ni de focus. Il faut « être » et surtout être en force. C’est pourquoi, c’est avec une particulière attention que nous souhaitons mettre en lumière le très beau travail d’interprétation fourni par les comédien(ne)s sur scène. Chaque membre était présent, maitre de son Art, nous dispensant à loisir l’étendue de sa couleur et de sa personnalité dans son interprétation. C’était beau à voir et très heureux à découvrir. Mesdames, messieurs les artistes, félicitations !

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