Texte de Jean-Luc Lagarce, mis en scène par Hugo Favier. Du 23 janvier au 27 janvier 2024 du Rideau de Bruxelles au Marni.
Comment fait-on pour annoncer sa mort imminente à sa famille quand cela fait douze années qu’on est pas revenu ? On ne le dit pas, on l’exprime avec le corps, avec les souvenirs. Louis écoute, sourit, laisse s’exprimer son frère, sa soeur, sa belle-soeur et sa mère, ceux qui ne sont jamais partis. Il les laisse dire l’amour à sa place avant de repartir ailleurs, dans ce monde fabulé qui ne se raconte pas.
Le texte de Jean-Luc Lagarce guettait Hugo Favier depuis un moment. Ce texte qui parle avant tout de son auteur, mort du sida à 38 ans. Face à la thématique de la mort, Hugo Favier voit l’occasion de s’approprier un espace d’expression engagé. Il interroge la position d’un personnage en marge et le moyen de rentrer en communication avec non seulement une autre vie, mais aussi tout ce que l’absence, la distance et la différence sociale implique dans le cas d’un retour. Comment revenir à ce qu’on a décidé de fuir ?
La langue qui tourne 7 fois dans la bouche
Les personnages parlent beaucoup. Louis observe, acquiesce, se confie parfois au public sans jamais interagir profondément avec ceux qui s’expriment vraiment. La famille ne laisse pas de place au silence, il faut tenter de tout dire à ce fils prodigue avant qu’il ne reparte. Alors ça cafouille, ça cherche, ça juge le discours de l’un et de l’autre. Les reproches se confondent avec l’amour. Si la difficulté à dire les choses peut parfois peser à l’oreille du public, c’est aussi un parti pris qui reflète la fracture sociale, le sentiment d’immobilité et la complexité des émotions qui traversent les personnages. Face à ce flot de paroles, les personnages se dévoilent intimement, ils se présentent à Louis qui ne connait rien de ses proches, quand lui n’arrivera pas à se présenter. La mort n’est pas une raison suffisante. Quand son frère lui demande la raison de son retour, car il doit bien y avoir une raison, la mort, même à 34 ans, reste à son état de fait, elle n’a pas besoin d’être dit, elle n’est qu’un prétexte.
Un genre d’apocalypse
La mort est un pré-texte au texte de Jean-Luc Lagarce, un prétexte à la création artistique, un prétexte pour continuer à dénoncer, et enfin, un prétexte à tout tenter sans regret. Il est un peu question de ça dans Juste la fin du monde. Un décor qui s’envole dès les premières minutes du spectacle, un intermède farfelu où se mêle danse, chant et interprétation théâtrale. Malgré l’ambiance statique des comédiens, la pièce s’autorise à jouer avec certains effets possibles sur scène, une lune scintillante, de la neige en polyester… Tout comme le thème de la pièce, le théâtre en lui-même cherche quelque part à s’exprimer.
On salue l’engagement des artistes, des comédiens pour la plupart diplômés de l’INSAS, et du metteur en scène Hugo Favier, d’apporter sur scène des thématiques contemporaines mais sensibles. On apprécie le travail de réflexion et sa qualité, et on encourage les spectateurs à interroger les frontières de la langue qui cachent un vrai chant d’amour général.