De Greta Fjellman et Maïa Blondeau, avec Greta Fjellman, création sonore de Maïa Blondeau. Du 16 janvier au 26 janvier 2024 au Rideau de Bruxelles, puis en tournée dans le brabant Wallon et en Wallonie. Pour les dates, le Laboratoire de recherche et d’écritures et les ateliers d’écriture connectée proposés par la compagnie wireless people, rendez-vous sur wirelesspeople.info
Le plateau au sol blanc est nu, ni accessoire, ni décor, juste des murs également drapés de blanc. Un éclairage bleuté évoque la lumière émise par un écran d’ordinateur. L’annonce faite au micro a de quoi surprendre tout habitué de théâtre : « veuillez ne pas éteindre vos téléphones, ni les mettre en silencieux ou en mode avion, merci ».
Apparaît Greta, tout de blanc vêtue, elle parle avec énergie et volubilité dans différentes langues. « Ça va pas », dit-elle. Et d’évoquer son look, son téléphone qui est tombée à la salle de sport, résultat, un mois sans smartphone. Mais elle reconnaît que, dès le premier jour de privation, elle a ressenti plus de sérénité, s’est sentie plus présente, plus authentique. « Sur les réseaux, je ne faisais pas grand chose, pour de vrai. Je regardais tout ce qui passait, la vie des autres, les photos des autres, les chats des autres… ».
« Hi », une voix interpelle Greta qui commence une conversation en anglais (surtitrée en français) avec la MRS, la maîtresse des réseaux sociaux. « Quel est le problème ? », lui demande celle-ci. « Quand je suis connectée sur les réseaux sociaux, j’ai l’impression de devenir stupide », est la réponse. Elle singe des vidéos, des photos. La gestuelle appuyée par un verbiage continu en anglais tourne en boucle. Lorsqu’elle entreprend de raconter une histoire, elle est interrompue par des bips sonores qui, apparemment, lui signalent une connexion externe à laquelle elle répond.
Seule en scène, Greta Fjellman qui s’appelle Greta au théâtre, s’appelle Greta sur les réseaux sociaux, s’appelle Greta dans la vraie vie (IRL, in real life), passe en revue différentes situations et sensations vécues sur les réseaux sociaux actuels. Le rythme est trépidant, frénétique, elle zappe d’un propos à l’autre, avec emphase, dans un langage courant sur les réseaux sociaux (« bonjour, les petits chats »…).
Née à l’aube des années 2000, Greta Fjellman baigne dans l’ère virtuelle depuis toujours. Durant son adolescence, elle était préoccupée par le contenu qu’elle publiait sur les réseaux sociaux, se comparant perpétuellement aux autres et ressentant une certaine honte par rapport à sa vie en ligne et sa vie vie réelle. À l’entame des études artistiques, son regard a changé, le sentiment de honte était alors principalement suscité par l’inquiétude d’être perçue comme une personne superficielle. La honte et la culpabilité ont alimenté une réflexion sur l’association entre accessibilité et superficialité qui découle du fait que ce qui est perçu comme accessible, populaire, est peu profond. L’art est profond lorsqu’il est inaccessible, les réseaux sociaux sont superficiels parce qu’accessibles.
Sa rencontre avec Maïa Blondeau, co-autrice de la pièce, les a conduites à la question initiale de Wireless People : réseaux sociaux et créativité sont-ils contradictoires ? Elle décident d’utiliser les réseaux sociaux comme matière d’écriture créative afin d’être au plus proche des réalités du monde actuel. Elles explorent des techniques d’écriture contemporaines, scrutent mots, sons, images et vidéos qui peuplent le web, les analysent et les classent selon une grille qui représente les spécificités des réseaux sociaux (instantanéité, rapidité, immatérialité, polyvalence, …). À partir de là, elles inventent et ajoutent des protocoles d’écriture qui donnent naissance aux poèmes-partitions, qui vont de la poésie graphique à la poésie musicale, pour composer la pièce.
Découlant de l’intention d’amener le monde virtuel des réseaux sociaux dans le monde organique du théâtre qui incarne le vrai (IRL), Greta Fjellman et Maïa Blondeau se sont inspirées du concept de fil d’actualité qu’elles composent de plusieurs tableaux agencés de manière telle que le récit, le rythme et la musique se rejoignent. Les limites entre la fiction et la réalité, entre la vie virtuelle et la vraie vie sont intentionnellement brouillées tout en préservant la notion de vraisemblance entre la vie et le théâtre. Ici, pas de vidéos, c’est un choix qui vise à faire vivre le réel uniquement par le jeu théâtral.
Cette approche va générer, au moins un soir de représentation, une situation plutôt cocasse. Un moment, Greta s’adresse au public qui ne manifeste aucune réaction. Elle est obligée d’insister : « hello, je suis en train de vous parler en vrai, IRL ». Elle demande à quelqu’un de la filmer avec son téléphone, une fois la personne n’a pas de téléphone, une autre, il est éteint, une autre encore, il n’est pas chargé. Comme quoi, en dépit de l’annonce faite en début de représentation, les spectateurs ont préféré adopter les codes du théâtre que ceux des réseaux sociaux.