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    Bellissima : démonte le fantasme du cinéma

    De Salvatore Calcagno et Pablo-Antoine Neufmars, avec Naim Belhaloumi, Marie Bos, Émilie Flamant, Amine Hamidou, Adéola Hawna, Amandine Laval, Sophia Leboutte, Lucas Meister, Rehab Mehal, Pablo-Antoine Neufmars, et en alternance avec Théa De Boeck et Elyséa Garrabos. Présenté par le Jean Vilar au SPOTT, du 16 janvier au 19 janvier 2024, au Théâtre de Namur du 3 avril au 6 avril 2024.

    Le plateau est vide, juste parsemé de quelques objets – projecteurs, une caméra et un micro qui traînent sur un meuble, la bande adhésive de couleur au sol pour indiquer une position de jeu – qui évoquent l’univers du cinéma. Un homme aux lunettes noires révise une dernière fois le texte écrit sur sa feuille de papier. Une voix retentit : « elle est prête ».

    Une femme monte sur scène et répond aux questions dont elle est bombardée. Elle s’appelle Amandine, vient de Durbuy et a déjà joué, elle a participé à sa première pièce de théâtre il y a vingt ans déjà. « La même phrase en espagnol », exige le réalisateur qui lui intime également de répéter le geste de se passer la main lentement dans les cheveux et lui demande « tu es prête à jouer devant nous ? ». « Action », la comédienne en examen plonge immédiatement dans son personnage en suivant les (dures) instructions du réalisateur.

    Sur fond de musique de film, un immense écran de projection descend au-dessus de la scène. On y découvre les images d’enfants de neuf à douze ans, dans une salle de théâtre, qui participent eux aussi à un casting. Suivant les directives de l’animateur, ils rient, ils pleurent, ils crient et improvisent même le speech qu’ils prononceront lorsqu’ils recevront un Oscar. Le ton se veut joyeux et complice mais l’on sent déjà que l’industrie du cinéma s’apprête à choisir sa chair fraîche.

    Puis vient une petite fille qui a tout pour plaire. Une autre musique de film emplit la salle tandis que l’on passe de l’écran à la scène. La même petite fille vient rejoindre une dame très apprêtée, sa mère, Sonia, rivée au téléphone. Elle se réjouit : « on a gagné, on a été sélectionné au premier tour » et prévenir que Maria n’aura plus le temps de faire ses devoirs.

    Mère célibataire, infirmière – aide-soignante, en fait -, qui semble avoir du mal à joindre les deux bouts, Sonia court les castings avec sa fille dans l’espoir qu’elle décroche un rôle, une carrière, qui permettrait à la famille d’envisager l’avenir avec plus de sérénité, de confort. Le cinéma lui apparaît comme un véritable ascenseur social, une porte qui promet indépendance, faste, luxe et, pourquoi pas, gloire. Mais la distance entre la réalité et le rêve peut s’avérer longue et malaisée.

    Une série de personnages peu avenant défile, chacun son tour selon un rituel identique. Ils se présentent, une chaise pliante sous le bras, la déplient avec fracas, y prennent place quelques secondes avant de lever et replier le siège sans plus de ménagement. L’actrice, la première assistante, le réalisateur, le directeur de casting, la monteuse, la professeure de théâtre, la productrice, semblent, dès le premier abord, fondamentalement désagréables. Imbus de leur personne et de leur position, ils vont se révéler, cyniques, opportunistes ou cruels.

    Les co-auteurs, Salvatore Calcagno et Pablo-Antoine Neufmars, se sont librement inspirés du film éponyme de Luchino Visconti (1961). Bellissima raconte l’histoire d’une femme issue d’un quartier pauvre de Rome, qui inscrit sa très jeune fille à une audition organisée par un metteur en scène de renom aux studios Cinecittà. Elle a investi toutes ses économies pour que sa fille soit la plus jolie, la mieux habillée et puisse décrocher le rôle. Mais face aux tentatives d’escroquerie, aux rires et sarcasmes des responsables de la sélection, finalement elle refuse la proposition de contrat, « je ne l’ai pas mise au monde pour divertir les autres ».

    La pièce a retenu la figure pure et authentique de la mère qui tente d’intégrer un milieu social qu’elle fantasme et désire. Si le film offre une vision plutôt binaire du monde artistique, ici les auteurs ont élargi, à partir surtout d’écriture de plateau, le propos à l’acte de créer mais aussi du jeu de l’interprète et de la peur que cela peut engendrer. L’espace scénique s’inscrit dans une logique de boîte ouverte où les comédiennes et comédiens dessinent l’espace et des frontières à travers les mouvements du corps. Ce qui n’est pas sans créer une certaine confusion, par moment.

    La mère (Rehab Mehal) et la fille (Théa De Boeck en alternance avec Elyséa Garrabos) sont toutes deux excellentes dans leur rôle, tout comme l’ensemble de la distribution. Deux personnages viendront rehausser le côté esthétique de la pièce : un danseur prodige (Naim Belhaloumi) et une actrice dénudée (Amandine Laval). Leur prestation se distinguent par leur caractère spontané, comme des propositions d’artistes qui ne sont pas exigées par le metteur en scène. Ces scènes, en particulier celle du danseur dont la deuxième version est effectuée sous les injonctions de Maria, semblent symboliser l’émancipation des artistes des diktats de l’industrie du cinéma.

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