De Inno JP, mis en scène par Thierno Thioune. Du 10 janvier au 10 février 2024 au Théâtre de la Toison d’Or (TTO).
Dans un déluge de basses et de lumières colorées, Inno JP monte sur la scène, en venant de la salle. Il a un peu de mal à démarrer son spectacle, il ne s’en cache pas, il avoue un gros problème avec la procrastination. Ce « défaut » que l’on retrouve un peu dans tous les domaines de l’existence est, selon lui, de nature divine. Dieu – celui des catholiques, le seul dont on peut se moquer – a créé le monde en une semaine. D’accord, il a tout fait en une semaine mais il a quand même glandé durant une éternité avant de s’y mettre.
Le principe du stand-up veut que la personne qui tient le micro puise dans son vécu pour tenter d’amuser son public. La vie atypique d’Inno JP constitue à ce titre une matière riche qu’il met en valeur avec brio et humour – l’homme a fait ses classes d’humour à Montréal, une référence -, mais aussi avec intelligence et finesse.
Inno pour Innocent, le prénom qu’il a reçu à sa naissance, dans les années 1980, au Rwanda. JP pour Jean-Paul, le prénom qui lui a été attribué – le prénom composé «d’un expulseur sur un visage d’expulsé» – lorsqu’il a été adopté par un couple de lesbiennes. Il n’y a aucun Jean-Paul dans la salle et, d’ailleurs, il n’en rencontre jamais. Cerise sur le gâteau, son nouveau patronyme est Van Geel, du jaune en flamand…
Le petit Jean-Paul grandit entre Hélène et Josée déjà cinquantenaires (« je suis le fruit de leur ménopause », dit-il) à La Hulpe, dans le Brabant wallon. Au-delà d’une province, le BW, pour les intimes, c’est d’abord un concept : les gens ont de l’argent mais ils le cachent. C’est là, et assez tardivement, qu’il se rend compte qu’il est noir. Dans un salon de coiffure traditionnel, entre l’église et la boulangerie, sa permanente permanente fait qu’il en sort avec une coiffure à la Mister T, de l’Agence tous risques, mais mal faite.
Lui qui n’a manqué de rien (« j’allais au ski chaque année »), fait l’expérience du racisme systémique, au quotidien, maladroit – « pense un peu à tous ces petits Noirs qui meurent de faim », lorsqu’il ne termine pas son assiette -, et tellement banal – quand il accueille les gens aux funérailles de sa mère, il se voit confier leur manteau, puisque, dans ce contexte, un homme de couleur ne peut être qu’un officiant. Avec ses deux identités, Inno JP se voit comme un Bounty, noir à l’extérieur, blanc dedans, et cultive le syndrome de l’imposteur vis-à-vis des Noirs tout en étant raciste envers lui-même. Il est d’ailleurs son seul ami noir.
Sans filtre mais sans faux pas, l’humoriste manie l’ironie de façon efficace que ce soit pour nous mettre face à certaines réalités qui interpellent. Le racisme auquel on ne prête pas vraiment attention ou les dégâts d’un Occident colonialiste (particulièrement de la Belgique qui s’est considérablement enrichie au Congo) qui ne seront pas effacés, ni même atténués, en rebaptisant un tunnel bruxellois ou en déboulonnant des statues. Dans True Story, tout est vrai… sauf ce qui ne l’est pas.