De Miet Warlop, avec Simon Beeckaert, Elisabeth Klinck Willem Lenaerts, Milan Schudel Melvin Slabbinck, Joppe Tanghe, Karin Tanghe, Wietse Tanghe, Stanislas Bruynseels, Judith Engelen, Marius Lefever, Luka Mariën, Flora Van Canneyt et Jarne Van Loon. Du 5 au 9 décembre 2023 au Théâtre National, les 15 et 16 février 2024 au Théâtre de Liège, les 5 et 6 avril 2024 au Palais des Beaux-Arts de Charleroi.
« Ça va faire du bruit », prévient l’ouvreuse en désignant le distributeur de bouchons d’oreille.
Le dispositif scénique tient à la fois de la salle de concert et de la salle de sport. A gauche, une poutre de gymnastique, à droite, un banc avec des bidons d’eau et des serviettes. Au centre des fûts de batterie, un clavier suspendu à un espalier, un tatami sur lequel se trouve une contrebasse et un autre où trône un métronome. Dans le fond, des gradins au-dessus desquels flotte au vent un drapeau rouge, bleu, noir et gris.
Une femme, vêtue d’une salopette orange, prend place dans la tribune, saisit le micro d’un mégaphone et commence à parler. Elle tiendra le crachoir durant toute la pièce sans que l’on puisse comprendre le sens de son discours. Cinq supporters en écharpe viennent la rejoindre dans les gradins sur lesquels est également assise une majorette à moustache.
Arrivent cinq athlètes, une femme et quatre hommes, qui s’échauffent en short et maillot à dossard. La commentatrice présente chacun d’eux mais on ne capte que le numéro qu’ils portent. Une fois la présentation terminée, l’athlète féminine se détache du groupe, traverse le plateau et met, au passage, le métronome en marche. Elle rejoint la poutre sur laquelle elle monte munie d’un violon dont elle commence à jouer.
Les uns après les autres, les athlètes la rejoignent. Un homme portant un casque de boxeur se glisse sous la contrebasse et doit faire des abdos pour faire vibrer les cordes de son instrument. Un claviériste utilise un petit tremplin pour sauter à hauteur des touches du synthétiseur et jouer note par note. Le batteur court d’un côté à l’autre du plateau où sont disséminés ses instruments : tambours, grosse caisse et cymbales.
Entre-temps, face aux supporters, un tapis roulant s’est mis en marche. Un chanteur y prend place et entame, en courant, une chanson (dont les paroles ont été imaginées avec l’écrivain Jeroen Olyslaegers) qu’il va répéter à l’infini. « Sauve qui peut/Avant que tu crèves/Avant que je crève/Avant qu’on crève tous/ Toc, toc/ Qui est là ?/ C’est ton chagrin passé… » (un document reprenant les paroles complètes est distribué au début du spectacle).
La majorette devient pom pom girl (cheerleader) et met l’ambiance avec enthousiasme. Par moment elle aligne des plaques de plâtre sur lesquelles figurent des mots mais les phrases ainsi composées n’ont pas vraiment de sens, comme pour symboliser l’inanité des mots. Si elle reste en marge du groupe tout au long de la prestation, elle n’en déploie pas moins d’énergie que les musiciens, les encourageant, les soutenant dans une course effrénée qu’elle termine par une danse de derviche tourneur alors que tous les autres sont au tapis.
Miet Warlop, 45 ans, a constitué une œuvre, toujours teintée d’humour, qui se situe aux frontières de différentes disciplines : musique, arts plastiques, danse, théâtre et, bien sûr, performance. Invitée, après Faustin Linyekula et Angelica Liddell, par le metteur en scène suisse et actuel directeur artistique du NTGent, Milo Rau, à participer à la série « Histoire(s) du théâtre » qu’il a lui-même entamée, l’artiste a répondu présente. One Song, créé au Festival d’Avignon en 2022, est une partie de « Sportband/Afgetrainde Klanken », une sorte de requiem, tentative de dépassement du chagrin par l’épuisement, créé en 2005 en hommage à son frère décédé Jasper.
Entre sport et musique, la performance est impressionnante, chacun tenant son rôle sans faillir une heure durant, semblant vouloir aller, ensemble, jusqu’au bout de ce qui est humainement possible. Seules l’une ou l’autre respiration et des divergences de vue sur le rythme à imprimer au métronome – l’un veut le ralentir alors que les autres n’ont de cesse de l’accélérer – leur permettent de survivre à cet effort hallucinant qui les mène, littéralement, à l’épuisement.
Pour Miet Warlop, la vie est manifestement un sport de combat mais c’est aussi une chanson unique aux variations infinies, que l’on rejoue encore et encore, jusqu’à tomber. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser au film de Sydney Pollack On achève bien les chevaux. La metteuse en scène considère que le sujet de One Song est de savoir comment une chanson peut donner un sens à toute une société, prônant l’unité dans la diversité.