Fury
de David Ayer
Drame, Action
Avec Brad Pitt, Shia LaBeouf, Logan Lerman, Michael Pena, Jon Bernthal
Sorti le 22 octobre 2014
De « un pour tous, tous pour un » à « seuls contre tous », Fury ne brille pas par son originalité, mais nous fait découvrir la Seconde Guerre mondiale depuis la fente de vision d’un tank.
Chef d’une unité blindée, Wardaddy a commencé à combattre les Allemands en Afrique et les poursuit désormais en Allemagne. Au milieu de ces combats qui n’en finissent pas, il doit accueillir une nouvelle recrue, Norman, un jeune homme parachuté au front sans préparation. Mais aucun répit n’est permis. L’équipe du tank nommé Fury se voit confier une mission aussi risquée qu’importante : contrôler un carrefour pour empêcher l’armée allemande de le traverser.
« World of Tanks »
écrit et réalisé par David Ayer (End of Watch), Fury commence comme Band of Brothers et se termine comme 300. Un sentiment de déjà-vu donc, même si cela n’entame pas totalement l’intensité du film, grâce notamment à la musique de Steven Price (oscarisé pour Gravity).
À défaut de nous surprendre, le film a cependant le mérite de se concentrer sur la fin de la Deuxième Guerre mondiale, une période généralement survolée jusqu’à l’apothéose de la victoire, et surtout de nous faire découvrir la guerre côté blindés. Pour certaines scènes, d’authentiques chars de 40-45, gracieusement prêtés par le Tank Museum de Bovington, ont été utilisés. Des M4 Shermans américains font ainsi à nouveau face au dernier modèle en état de marche du Tigre I allemand. Alors le neck plus ultra de ce qui se faisait en char d’assaut, ce dernier aurait pu causer la perte des alliés – avec une portée de tir de 4 km et un canon de 88 mm, il pouvait l’emporter face à 10 Shermans –, mais son coût de production et de maintenance limita sa suprématie.
Ayer réussit à nous amener au plus près d’un combat vécu de l’intérieur d’un tank. Il filme sous tous les angles, nous expose au bruit des balles sur la carrosserie, en nous épargnant une caméra hyperkinétique et des bruits de canettes percées. La simulation est réussie et instructive.
Au cinéma comme à la guerre
Alternant entre combats et accalmies incertaines, la première partie du film est une plongée dans cette fin de guerre jusqu’au-boutiste où seule la fraternité est préservée de la violence et de l’ironie salvatrice – « Best job I’ve ever had » qu’ils disent. C’est dans ce contexte qu’arrive Norman, envoyé au front avec trois poils au menton et une formation de typographe. Dans ce rôle de novice pétri de valeurs chrétiennes, la performance de Logan Lerman (Percy Jackson, Le monde de Charlie) mérite d’être saluée. C’est à travers ses yeux que le spectateur découvre l’horreur quotidienne de la guerre, celle que les autres soldats ne relèvent même plus.
Cela, Norman l’apprend au gré des circonstances. Comme cet éphémère moment de quiétude dans un salon allemand, dont l’issue achèvera de faire de lui un soldat, un humain chez qui les ordres remplacent les sentiments, question de survie. Le formant au combat en moins de 24h, l’équipe du tank Fury le dépouille ainsi de ses illusions avec violence et affection.
Dans le rôle de la figure paternelle du commandant dur mais juste, brut mais raffiné, on trouve Brad Pitt, flanqué de son plus bel accent yankee qui ne va pas sans rappeler le lieutenant Aldo Raine (Inglorious Basterds). Avec et autour de lui, les autres acteurs réagissent comme un seul homme. C’est qu’ils ont payé de leur personne en participant à un camp d’entraînement destiné à les casser, moralement et physiquement, et à les souder, figurativement. Poussant le réalisme jusqu’au naturalisme, Shia LaBoeuf (Transformers, Wall Street : l’argent ne dort jamais) laissait craindre le pire, mais son interprétation de Bible, l’artilleur du char, est pertinente, intense et retenue à la fois. En amont du canon, Coon-Ass, joué par Jon Bernthal (The Walking Dead, Le Loup de Wall Street) charge les munitions et déverse un jeu viscéral. Enfin, rendant ainsi hommage aux quelques 350.000 Mexicains-Américains ayant combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale, Michael Peña (End of Watch, César Chavez) interprète Gordo, le conducteur du char.
Fury est une « tranche de guerre » made in US au final assez classique. Si le souci historique et l’instantanéité qui caractérisent Ayer sont payants, on ne peut s’empêcher de trouver l’ensemble très américain, du scénario conventionnel à la fraternité militaire (certes de circonstance) mi-virile mi-bromantique, en passant par la Bible (le livre cette fois) citée plus que de raison. Quant aux méchants, le film prend soin de distinguer les Allemands, eux aussi victimes du conflit, et les Nazis, ces monstres qui ne méritent que balles et napalm. Heureusement, la fin évite l’encensement de la guerre et nous rappelle que derrière toute victoire se cache « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur » (W. Churchill).
Fury est donc à prendre pour ce qu’il est, un film de guerre américain. À chacun de décider si c’est une bonne raison d’aller le voir ou non.