auteur : Laëtitia Coryn
édition : Dargaud
date de sortie : 10 octobre 2014
genre : documentaire, scolaire
La cour d’école : en voilà un terrain de jeux passionnant ! La documentariste Claire Simon l’avait d’ailleurs exploré dans Récréations en 1992 et la critique avait alors souligné la richesse et la complexité des enjeux qui se jouent pendant la récréation et que le film dévoilait : Jean-Michel Frodon évoquait dans Le Monde un grand film d’aventures morales, Jean Roy dans L’Humanité affirmait que toute les situations matricielles de la tragédie et de la comédie apparaissaient en réduction dans les scènes captées par la cinéaste.
Malheureusement, avec la BD de Laëtitia Coryn, qui observe elle aussi les jeux des enfants pendant la récréation, on est bien loin d’un regard d’ethnologues sur ce grand terrain de cruauté, de rituels sociaux et d’apprentissage qu’est la cour d’école. Dans les saynètes, très brèves, dont le texte est presque absent, on ne perçoit ni une grande attention, ni une vive curiosité pour ce qui se trame dans la cour de l’école. L’absence de point de vue et de propos est très regrettable : jamais on ne comprend d’où regarde l’auteur ni ce qu’elle regarde, tant l’ensemble est désarticulé. On aurait aimé saisir ce qui se trame entre les acteurs de l’école, élèves, professeurs, surveillants, mais l’album n’approfondit jamais une relation ou un moment particulier pour construire son sens dans la durée. Il se limite alors à une juxtaposition de saynètes, très peu scénarisées et généralement sans relief, qui ne relèvent même pas du gag. En somme, il n’y a dans cet album ni personnages, ni lieux véritables, et cette absence de contextualisation et de continuité nuit grandement à l’intérêt de l’observation menée.
Si elle n’est pas une plongée documentaire dans le fascinant univers des écoliers hors de la classe, la BD pourrait toutefois avoir le mérite de faire écho à l’expérience personnelle du lecteur et de susciter le réveil de souvenirs enfouis. Hélas encore, la madeleine de Proust est sans saveur : on ne retrouve nullement l’atmosphère de l’école, tant sa langue, ses odeurs, ses couleurs, ses bruits sont absents ou rendus avec fadeur. Les enfants, réduits à de petites silhouettes de couleur très peu expressives, sont les premières victimes d’un dessin vieillot et peu inspiré. La deuxième victime, c’est sans doute cette matière fabuleuse qu’est la cour d’école, territoire de l’imaginaire débridé et de la construction des rapports sociaux, écartelé entre l’aspiration à l’invention et le désir de norme. On ne peut qu’espérer que d’autres auteurs de BD sauront l’investir en développant une envie, un ton et un regard singuliers, qui font ici défaut.