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    Interview de Titus Simoens

    Lauréat de la Monography Series Award, le photographe Titus Simoens expose une dizaine de photographies au Bozar. Retrouvez ici le texte sur l’exposition avant de lire son interview ci-dessous:

    Vous avez passé deux mois dans une école de Kung Fu de la province du Henan en Chine. Qu’est-ce qui vous a attiré là-bas ?

    Il s’agit en fait d’un thème au sujet d’enfants sur lequel je suis en train de travailler. Ceux-ci se retrouvent dans cette école à partir de l’âge de 6 ans jusqu’à environ 18 ans. Ils bénéficient, dans cet endroit, d’un enseignement très spécifique qui leur sera utile pour le futur.

    J’ai démarré il y a un an dans une école de marine à Ostende. C’était la première localisation que j’avais choisie où les enfants sont admis à partir de l’âge de 6 ans dans ce thème de formation. En Chine, je suis d’abord arrivé pour faire des recherches et visiter d’autres écoles et je suis tombé sur cet endroit qui mettait en scène le même schéma qu’à Ostende. Alors, j’ai tout simplement décidé de travailler là-bas.

    Qu’est-ce qui vous a amené à produire la série Mount Song? Une passion pour le Kung Fu, la discipline qui y est liée ou bien l’univers dans lequel baignent ces jeunes ?

    Ici, et dans mon travail en général, il ne s’agit pas réellement de Kung Fu. Comme vous pouvez le constater, mes photographies représentent toutes sortes de moments qui se déroulent entre les cours de Kung Fu. Ce sont des instants de calme, de repos parce que cela à plus d’impact pour moi sur la thématique de ces enfants qui sont loin de chez eux et qui vivent ensemble en communauté. Après cela, lorsqu’ils atteignent l’âge de 18-19 ans, ils sont libres de rentrer chez eux. Ces images attestent bien plus de la vie de ces enfants que du Kung Fu.

    Après cet enseignement, ces enfants ont-ils un travail?

    Non. Ils retournent d’où ils viennent, c’est-à-dire chez leur parents. La plupart du temps, les deux parents travaillent et n’ont pas le temps de s’occuper de leurs enfants. C’est la raison pour laquelle, ils préfèrent envoyer ceux-ci dans cette école de Kung Fu.
    On peut rapprocher l’enseignement donné à ces enfants avec celui d’Ostende : il y a certaines normes de conduites, certaines valeurs à suivre. Ils apprennent à contrôler leur corps et leur esprit pour devenir une bonne personne. C’est un univers très discipliné et très structuré et lorsque ces enfants s’entraînent durant 15 ans dans cet univers, ils deviennent des personnes très « zen ». Il est vrai qu’ils vivent pieds nus, que certains dorment par terre. On peut se dire que c’est peut-être sévère de la part des parents, mais finalement, c’est une réelle richesse pour ces enfants.

    On dit que vous vous fondez dans le paysage au point de devenir invisible. Peut-on dès lors comparer votre travail à celui d’un anthropologue ?

    Pour moi, il s’agit plus d’une manière artistique de voir et de présenter les choses. Le tout est subjectif et ressort de mes propres sentiments. Je vis aussi là-bas pendant deux mois et je ressens exactement la même chose qu’eux. Je peux donc aussi m’identifier d’une certaine manière. C’est pourquoi j’ai fait le choix de ce travail. Donc je poursuis ma propre idée et j’essaie d’être le plus proche possible de mes sentiments ce qui me permet de m’intégrer dans leur monde. Je pense que c’est plus quelque chose de ce genre.

    En quoi, étant photographe de la “vieille école”, peut-on affirmer que votre travail est ancré dans la modernité ?

    Je pense tout d’abord au fait qu’il ne s’agit pas d’un simple reportage ou d’un simple documentaire sur un thème choisi. Mais plus : je suis de maintenant, je suis de ce temps et je crée mes photos à partir de mon ressenti, de mes expériences et j’essaie de les replacer ensuite dans leur monde. On retrouve cela dans le travail de présentation.
    Par exemple : la table ainsi que les cadres ont été réalisés en collaboration avec un créateur de meubles mais il est surtout très important de regarder ce qui est présenté sur cette table : ce sont les photos que les enfants ont réalisés eux-mêmes. Nous présentons également cela sur une table car cela se rapproche du mobilier de l’école. Tout est réfléchi, nous savons très bien où nous allons. Nous allons travailler de plus en plus avec Alexandre Lowie jusqu’à réaliser une vraie fusion entre nos deux domaines de prédilection.

    En quoi consiste la préparation qui a précédé cette série? Ces photographies sont-elles le fruit d’une longue observation et ensuite prises sur le vif ?

    Je bouge pas mal avec eux en fait. J’habite là durant environ deux mois et il est impossible de rester à la même place constamment. L’école est très étendue et il y a parfois jusqu’à 300 élèves. Les activités sont toujours les mêmes ce qui vous donne un certain rythme, ce qui vous force à vous ouvrir, à regarder tout ce qui se passe. Vous voyez les instants se produire mais vous avez également le temps d’attendre parce que vous êtes quand même présent le lendemain et le surlendemain et encore le jour d’après, etc. Donc, il suffit juste d’attendre ce qui va se passer ensuite. Si le moment s’est produit un jour, il se reproduira forcément un autre jour. J’installe mon matériel dans un espace et ensuite il suffit d’attendre que quelque chose se passe.

    Par exemple, pour cette photo que vous voyez avec l’enfant qui porte un pull jaune, j’ai posé mon matériel devant l’évier et j’ai attendu, attendu jusqu’à ce que ce moment arrive, jusqu’à ce qu’il soit au centre de l’image. Mais on sent instinctivement que le moment va arriver.

    pull jaune titus simoens

    © Titus Simoens

    On raconte que vous livrez beaucoup de votre personnalité et de vos émotions dans votre travail. Cette affirmation est-elle exacte ?

    Je pense, oui. Cela fait un drôle d’effet lorsque vous passez environ deux mois à l’écart et loin de toute civilisation. Vous y êtes, vous restez aussi enfermé dans cette école dans les mêmes conditions. Vous y êtes totalement et grâce à ça vous pouvez commencer à communiquer avec les élèves et j’essaie juste d’y intégrer mes émotions et mes ressentis dans mon travail. J’arrive à sentir le moment, je construis des relations avec les enfants et c’est comme cela que ça commence.

    Quels sont vos projets pour l’avenir?

    Je pars le 15 novembre pour Cuba dans une école de boxe à Havana qui suit à nouveau le même thème. Il s’agit du dernier voyage concernant ce thème. Donc je vais travailler sur trois implantations au total. Et l’année prochaine, en février, je monte une nouvelle exposition à Gand regroupant le travail effectué sur ces trois localités.

    Peut-on parler d’une trilogie dans ce cas?

    Mon travail sur les différentes implantations n’a pas besoin d’être présenté ensemble pour raconter quelque chose. Il s’agit simplement de trois localités qui ensemble forment plus de matière et donc donne plus de sens à mon travail. Si je ne vous montre que ce qui est présenté ici, c’est en effet un peu pauvre. Mais si on montre mon travail à Ostende, celui en Chine et enfin à Cuba, on a plus de matière, plus de personnalités, plus d’images, plus de représentations pour faire comprendre le thème choisi, pour rendre le tout plus lisible, plus compréhensible. Donc ce n’est pas une trilogie, j’ai juste décidé de travailler sur trois localités distinctes.

    Plus d’infos:
    Article du Suricate Magazine
    Mercredi 15.10 > Dimanche 16.11.2014
    Palais des Beaux-Arts

    Daphné Troniseck
    Daphné Troniseck
    Journaliste du Suricate Magazine

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