auteur : Vanyda
éditions : Dargaud
sortie : 3 octobre 2014
genre : Chronique sur l’adolescence
Entre 2008 et 2011 paraissaient Celle que je ne suis pas, Celle que je voudrais être, et Celle que je suis, la trilogie de Vanyda consacrée à l’évolution d’une adolescente sur trois années scolaires, entre ses quatorze et ses dix-sept ans. Depuis 2012, la BD originellement en noir et blanc est rééditée en une série en couleur de six tomes, portant le nom de l’héroïne. Ce dernier volume amènera l’ado lilloise et ses amis du milieu de la classe de première (équivalent de la cinquième secondaire) jusqu’aux vacances d’été. Valentine vivra un véritable premier amour, renouera avec certaines vieilles copines de collège tout en approfondissant les liens avec ses nouveaux amis, apprendra à regarder différemment ceux qui l’entourent, et, de plus en plus, à faire ses propres choix.
Vanyda a un talent certain pour raconter avec justesse et sensibilité, loin des stéréotypes et des revirements rocambolesques, le fil de la vie quotidienne, ses nuances, ses petits apprentissages et ses infimes changements, comme elle l’avait fait dans L’immeuble d’en face. Sa chronique de l’adolescence, centrée sur la construction de Valentine, sur ses relations aux autres et à elle-même, est une petite pépite : en douceur, sans révolution ni révélation fracassante, sans faire l’économie des anecdotes et conversations banales, on ressent toute la complexité, le malaise et les vibrations, les creux et l’intensité de cette période où, l’air de rien, tout change. Vanyda nous émeut parce qu’elle prend au sérieux les états d’âme d’une ado, parce qu’elle a de la considération pour sa vie, regardant le monde et les choses à sa hauteur. Ce regard, il est porté par un très grand sens de l’observation : tout sonne juste, du détail des vêtements au mouvement des cheveux, des gestes furtifs des ados à leurs poses étudiées. On pense à Gus Van Sant quand il contemple au ralenti des lycéens dans Elephant, et, d’ailleurs, le cinéma n’est pas loin : le dessin de Vanyda est marqué par un goût très cinématographique des angles de vue et du cadrage. On a ainsi l’impression de suivre une adolescence sous toutes les coutures, et c’est ce qui nous rend Valentine si familière : elle est saisie en plongée, rêvassant dans son bain ; ou bien sa silhouette lointaine se découpe sur le ciel bleu ; ou bien encore, le front collé contre une vitre, elle s’ennuie en contre-plongée. En somme, elle nous touche parce qu’elle nous apparaît dans ses silences, ses moments de flânerie, ses instants de doute ou de joie soudaine, et Vanyda croque avec bienveillance les fluctuations de cette vie mouvante.
Dans ce dernier volume, Valentine s’épanouit. Rompant avec ses vieux fantasmes, elle se penche sur son passé, n’échappe pas à la nostalgie, mais, on le sent, s’approche de plus en plus de ce qu’elle est. Pour goûter toute la richesse de cette série, il est évident qu’il faut la lire en entier, en prenant avec Valentine le temps de grandir un peu plus chaque année. Ainsi, le nouveau découpage de cette réédition en six tomes, qui fragmente le découpage initial par année scolaire, ne permet plus cette vision d’ensemble de l’évolution de Valentine, alignée sur ce temps scolaire de septembre à juin qui rythme la chronique du début à la fin. Pas sûr non plus que la couleur ajoute beaucoup au rendu de l’atmosphère, déjà très précis et très réaliste dans la première version. Au contraire, la couleur, quelquefois trop appuyée, affaiblit parfois la subtilité du trait.
Cette réédition est toutefois l’occasion de redécouvrir une série qui s’adresse à tous, lycéens d’aujourd’hui ou vieux adolescents qui replongeront avec délice dans ces « années de presque rien » chantées par Jeanne Cherhal, dont Vanyda a su saisir les petits détails universels, sans fascination ni sentimentalisme excessifs, mais avec finesse.