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    West Side Story : les doigts claquent au château du Karreveld

    De Leonard Bernstein, Stephen Sondheim, Arthur Laurents et Jerome Robbins, mis en scène par Daniel Hanssens et Kylian Campbell. Jusqu’au 26 août au château du Karreveld à Molenbeek saint-Jean dans le cadre du festival Bruxellons.

    Dans un décor fait de planches dressées, qui forment une passerelle en hauteur, d’une voiture rouge renversée en contrebas, d’un escalier métallique tordu appuyé contre un mur de briques rouges (assorties à celles du château), de jeunes gens taquinent le ballon. Un couple passe sur la passerelle et se fait chasser, « dégage sale métèque ». La tension est palpable, ça sent la fight.

    Deux bandes de jeunes des bas quartiers se disputent le territoire parce qu’un « gang qui n’a pas de rue n’existe plus ». Les Jets, blancs originaires d’Irlande ou de Pologne, se considèrent Américains car nés en Amérique. En face, les Sharks émigrés plus récemment de Porto Rico. Ils se toisent, s’insultent, se bousculent et la situation dégénère en bagarre générale où les filles ne sont pas en reste, entre elles mais aussi face aux mecs. Le lieutenant de police Schrank (Didier Colfs) intervient pour leur demander de s’entre tuer quand il n’est pas en service.

    Riff (Bart Aerts), le leader des Jets, demande à Tony (Kaplyn) qui a manifestement pris ses distances avec le gang, de l’accompagner au bal où il compte défier les Sharks. Tony tombe instantanément sous le charme de Maria (Romina Palmeri), la sœur de Bernardo (Loaï Rahman), chef des Portoricains, qui l’a fait venir à New-York pour la marier à Chino (Felipe Garcia). Dans la salle de bal, les deux bandes ne se mélangent pas en dépit des efforts du maître de cérémonie. Huit couples se mesurent dans une battle de danse tandis que Maria et Tony se rapprochent et finissent par s’embrasser, suscitant la colère de Bernardo. Un conseil de guerre est décidé pour fixer les règles de l’affrontement inévitable.

    Tous les éléments de Roméo et Juliette de William Shakespeare sont réunis et, comme de bien entendu, cela se termine en tragédie. West Side Story de Leonard Bernstein (musique), Stephen Sondheim (paroles) et Arthur Laurents (livret), basé sur une conception de Jerome Robbins, a été créé, au terme d’une longue maturation initiée dès 1949, le 26 septembre 1957 au Winter Garden Theatre de Broadway, après quelques « try-out » à Washington et Philadelphie. Le spectacle tient l’affiche durant 732 représentations, durant un an et dix mois, avant de partir en tournée et connaître un succès phénoménal.

    La comédie musicale qui a récolté nombre de récompenses a fait l’objet d’une adaptation au cinéma en 1961 réalisée par Robert Wise et Jerome Robbins avec Natalie Wood, Richard Beymer, Rita Moreno et George Chakiris. Le film qui engrange pas moins de dix Oscars (sur onze nominations) fera lui-même l’objet d’une nouvelle adaptation, en 2021, par – excusez du peu – Steven Spielberg. C’est dire que l’œuvre a marqué le théâtre musical américain par la musique, les scènes de danse et les thématiques qu’elle aborde – le racisme, la délinquance juvénile et les problèmes sociaux – comme rarement dans une discipline réputée plutôt légère.

    Cette première mondiale en français tient largement ses promesses. Certes, d’aucuns seront dubitatifs à la perspective d’une adaptation francophone d’un spectacle dans lequel la musique et la musicalité des paroles sont intimement liées mais la traduction française, chansons comprises, de Stéphane Laporte ne dénature en rien l’œuvre originale. Même si le « j’ai d’la moquette en America », qui devrait correspondre au « wall-to-wall floors in America! » (planchers recouverts de moquette) original, semble un rien incongru.

    Au moment de la création de West Side Story, Jerome Robbins a procédé à des castings d’inconnus multi-ethniques pour dénicher les perles rares qui savent jouer, chanter une partition difficile et danser des chorégraphies élaborées et musclées. Cette triple exigence qui a dû également se présenter aux créateurs de la version francophone y est pleinement rencontrée. Les interprètes sont à l’aise, performants et techniquement irréprochables dans chaque discipline. Dans les deux rôles principaux, Romina Palmeri et Kaplyn explorent, de façon exceptionnelle, de nombreux registres. Mention spéciale à Marina Pangos qui incarne Anita, la compagne de Bernardo, qui est remarquable tant dans le mouvement que dans la voix.

    Même sans être féru de comédies musicales, la scénographie magnifique et magnifiée par les jeux de lumière, les chorégraphies époustouflantes, implacables, signées Kylian Campbell et Antoine Pedros, les 25 interprètes sur scène et les 17 musiciens, dirigés par Laure Campion, qui les accompagnent en live (mais en coulisse) nous laissent sans voix mais avec des couleurs et des airs qui vont nous habiter quelque temps.

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