De et mise en scène de David Nobrega, avec Benjamin Torrini, Wilhem Baerdemaeker, Colin Javaux, Mathieu Fonteyn, Jonathan Simon, Emilien Vekemans. Du 22 mai au 3 juin 2023 au Théâtre des Riches Claires.
Est-ce un hommage ? Est-ce une parodie ? Ou l’un pouvait-il être sans l’autre ? Kill Fiction c’est une plongée dans le Cinéma d’action américain des années 80/90 : des armes, de la drogue, des punchlines et un ratio litres d’hémoglobine par minute jouée à faire pâlir Carrie à son bal du diable. David Nobrega, metteur en scène et ancien adolescent cinéphage, nous offre un pitch directement tiré de Reservoir Dogs : un entrepôt, des gangsters, une taupe et la promesse d’une boucherie. Mais Kill Fiction ce n’est pas un simple remake, c’est un regard sur ce Cinéma, une prise de distance. Faire rire par l’incompétence de ses personnages est sans doute le propre des parodies, en ce sens, la pièce en est le meilleur des exemples.
Numéro 1 et Numéro 2, sont des tueurs à gage, ils doivent liquider le cousin de Vincenzo, leur associé. Le travail est fait, mal évidemment, mais il est fait. A moins que… A moins qu’ils n’aient pas refroidi le bon cousin. Réunion de crise, on découvre ainsi chacun de leurs supérieurs être aussi castrateurs envers leurs subordonnés qu’ils sont doucereux avec leur propre hiérarchie. Love s’écrase face à Emilio qui s’écrase face à M. Gonzales. Et au milieu de tout ça, Paul, cible originelle et gangster ayant peur de tuer. Paul celui qui n’en touche pas une du début à la fin de la pièce et qui ferait presque passer ces partenaires pour des couteaux aiguisés.
Si la pièce est une parodie, elle est aussi un exutoire, une manière de dire au revoir à un Cinéma qui a sans doute contribué aux passions artistiques de bons nombre d’adolescents, dont David Nobrega fait sûrement partie, mais qui se doit d’être relativisé aujourd’hui. Comme une rupture par l’orgasme, Kill Fiction met ses modèles à distance dans un bouquet final de sang, d’armes et de vannes. Assumer d’avoir aimé à corps perdu et assumer ne plus le pouvoir, tel est le crédo de la pièce qui s’inscrit ainsi dans une mouvance qu’on pourrait qualifier de « bobof » : l’envie d’un divertissement décomplexé avec le besoin de déconstruction de ses codes. Un équilibre difficile à trouver car le bobof sera bourrin chez les uns et élitiste chez les autres. Kill Fiction navigue ainsi entre le plaisir de montrer et la joie de dénoncer et chacun peut y voir l’intelligence de pointer du doigt là où d’autres ne verraient que la propagation de comportements problématiques. Ainsi, comme les deux faces d’une même pièce, il est aussi nécessaire de déviriliser les héros masculins qu’il est rétrograde de rire de la féminité et deux paires d’yeux verront sûrement trois choses différentes.
Il n’empêche que Kill Fiction ne fait pas de concessions et embarque complètement le moindre spectateur qui lui tendrait la main. David Nobrega a aussi le mérite d’amener le Cinéma au théâtre autant physiquement, comme cette scène d’introduction où des extraits de films sont projetés ou la mise en scène du générique de la pièce, que narrativement avec un thème fort qui est celui des films d’action de la fin du XXème siècle et une structure qui ne se prive ni de flashbacks ni de voix off. Kill Fiction c’est un grand délire, un objet théâtral clivant qui dépasse le médium auquel il rend hommage. Kill Fiction c’est rire en se demandant pourquoi c’est drôle et si ça devrait l’être.
Dans la même veine :
Film :
– Coupez ! de Michel Hazanavicius (2022)
– Yakuza apocalypse de Takashi Miike (2015)
Série :
– Les Kassos de Balak (depuis 2013)
BD :
– Il faut flinguer Ramirez de Nicolas Petrimaux (depuis 2018)
Jeu :
– Joking Hazard de Kris Wilson, Rob DenBleyker, Dave McElfatrick, Matt Melvin (2016)