De Oscar de Summa. Mise en scène Georges Lini. Avec Félix Vannoorenberghe. Du 16 mai au 3 juin 2023 au Théâtre de Poche.
Par une chaude après-midi, dans un village au sud de l’Italie, une jeune fille marche d’un pas décidé vers une destination fatale. Munie d’un pistolet Smith et Wesson 9mm, elle créée la confusion et l’inquiétude auprès de toutes les personnes qu’elle croise. On entend une voix s’élever au milieu de la foule qui commence à s’agglutiner autour d’elle : « Maria ? Maria ! Mais qu’est-ce que tu fais bon sang ? Maria, tu es folle ! »
Mais que lui arrive-t-il à cette jeune fille ? Vers qui, vers quoi se dirige-t-elle aussi droite, aussi déterminée ? Vers un point à l’horizon ? Petit à petit, les langues se délient. Elle part chez Angelo le Couillon. Il parait qu’il lui a fait violence hier soir à la fête du village. Drôle de manière de décrire ce qu’il lui a fait. Il lui a fait violence… Est-ce que c’est comme ça qu’elle le décrirait ? Tout le monde le sait, tout le monde l’a vu, tout le monde a fait semblant de ne y avoir assisté. Elle, tout ce brouhaha ne l’atteint pas. Elle a les yeux rivés vers son destin. Elle ira chez lui. Coûte que coûte.
Sur scène, deux protagonistes, Félix Vannoorenberghe et Florence Sauveur. Un duo et non pas deux adversaires même si la sœur de Jésus-Christ est décrite comme un western moderne. Ils n’iront pas vers cette facilité-là. Non… Eux… Ils vont aller beaucoup plus loin. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à l’image de cette salle qui s’est levée à la fin de la représentation, acclamant à corps et à cris leurs interprètes, nous les aurions encore écoutés pendant des heures.
Première conquête : les oreilles
Lui, c’est Félix Vannoorenberghe, il est comédien. Il va nous conter, interpréter, hurler toutes les voix qui composent cette tragédie contemporaine. Il nous impose le silence par le talent, la grâce et la profondeur de son jeu. Il va maitriser nos respirations au gré du rythme avec lequel il souhaite nous faire progresser dans son récit. On lâche les armes, on est pendu à ses lèvres. Il va nous tenir comme ça durant une heure. Inconscient que nous sommes devenus du temps qui passe. Plus rien ne compte mise à part la progression de Maria. Qui avance, avance, avance…
Elle, c’est Florence Sauveur, elle est musicienne et compositrice. A l’aide de ses instruments, elle va nous poser le décor, nous entourer de sa musique profonde et transcendante. Elle sera toujours avec nous, accompagnant nos émotions, fracassant nos certitudes. Un merveilleux Spleen. Ensemble, ils forment un couple redoutable qui nous entraine avec eux vers une issue fatale.
Deuxième victoire : les yeux
Comment ne pas être faire l’éloge de l’intelligence de la scénographie ? On la doit à Charly Kleinermann et Thibaut De Coster. La mise en scène, quant à elle, est signée Georges Lini dont la sensibilité et le talent nous a, une fois de plus, subjugué. Pièces après pièces, conquêtes après conquêtes, il faut s’incliner devant l’évidence : certains metteurs en scène ont une âme capable d’atteindre des foules.
Tout ce qui se déroule sous nos yeux est d’une justesse absolue. La lumière de Jérôme Dejean et les créations vidéo de Sébastien Fernandez nous propulsent dans les terribles rouages de la rage et de la riposte. Sun Tzu et son art de la guerre va ponctuer la progression vengeresse de Maria : « Attaque ton ennemi quand il n’est pas préparé, apparais quand tu n’es pas attendu ».
Intelligence, perspicacité, sensibilité, pudeur, colère, dosées avec une précision diabolique. Cette pièce est une réussite absolue. A l’image d’un champ de bataille déserté par le vainqueur, nous finissons terrassés.
Coup final : le cœur et l’âme
A tout cela s’ajoute l’essence même de cette pièce, le texte d’Oscar de Summa. Une prose poétique, magnifique, percutante. Qui apparait comme la clef de voute de cette machine de destruction massive émotionnelle mise en place jusqu’ici. Autant de décharges de mille volts pris en pleine tête qui réussit aussi la prouesse de parfois nous faire rire. Qui nous interpelle, nous sort de notre zone de confort. Qui dénonce. Qui met en lumière sans pointer du doigt. Qui nous tire les larmes.
La définition magistrale de la justesse d’un texte au service d’une émotion auquel il voue allégeance.
La Sœur de Jésus-Christ est une maestria diaboliquement bien orchestrée. Un guet-apens émotionnel. Il n’y plus grand-chose à dire. Ou plutôt si, il y en aurait encore énormément à développer tant le terreau est riche à la réflexion et propice à la dilution.
Toutefois, le mieux pour vous et certainement le meilleur conseil que nous pourrions vous donner, c’est de partir à leur rencontre. Laissez-vous kidnapper, happer et percuter par cette pièce. Elle fera partie de vos plus précieux souvenirs et de vos expériences théâtrales les plus mémorables.