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    “Jeanne du Barry”, un peu de dignité

    Jeanne du Barry
    de Maïwenn
    Drame, Historique, Romance
    Avec Maïwenn, Johnny Depp, Benjamin Lavernhe
    Sorti le 17 mai 2023

    Qu’attendre d’un film mettant en vedette un agresseur avéré – Johnny Depp fut condamné en 2020 lors d’un procès l’opposant au tabloïd The Sun, qui l’affichait en auteur de violences conjugales –, mis en scène par une réalisatrice connue pour ses prises de positions anti-féministes, s’étant récemment elle-même illustrée par des faits de violences ? Outre les qualités intrinsèques discutables du sixième film de Maïwenn, dont nous allons discuter ici, il est évident que Jeanne du Barry nous arrive dans un parfum de souffre duquel il est difficile de s’absoudre. Comme pour attiser les braises du scandale, sa programmation en ouverture du Festival de Cannes 2023 consacre ainsi la victoire médiatique de l’acteur américain face à Amber Heard, anéantie par une campagne de cyber-harcèlement d’une ampleur sans précédent dont son ancien mari fut l’un des orchestrateurs.

    S’il est si compliqué de parler de Jeanne du Barry sans faire un détour par les coulisses du réel, c’est que son scénario même nous y convie. En racontant le parcours d’une roturière dont l’impertinence la mènera à la cour de Versailles, précipitée dans une histoire d’amour indécente avec le roi Louis XV, Maïwenn entend faire écho à sa propre vie. Le film est une évocation autobiographique balourde de la relation qu’elle entretint à partir de ses quinze ans avec Luc Besson – actuellement visé par une plainte pour viol et pour de multiples agression sexuelles -, de dix-sept ans son ainé. Le réalisateur tenta d’ailleurs à l’époque de légitimer l’impossible par un film malaisant : Léon. Sous cet éclairage peu reluisant, Jeanne du Barry nous apparaît comme la tentative d’une réécriture de l’intime par l’Histoire.

    Mais, la violence dont Maïwenn fut la victime l’aura conduite à épouser une vision romantisée des relations d’emprise, ce que nous rappellent ses prises de positions régulières en faveur d’une masculinité oppressive (en 2020, elle affirmait à Paris Match : « j’espère que les hommes me siffleront dans la rue toute ma vie »). Ainsi, on ne s’étonne guère de ce que ce récit auto-réflexif passe avant tout par le portrait d’une femme éminemment libre, élément perturbateur d’un milieu entièrement soumis à l’étiquette. Qu’elle interprète elle-même le rôle titre alimente le trouble : on a rapidement le sentiment que l’actrice se confond tout à fait avec son personnage, et jubile de se voir ainsi bouleverser les conventions. La désormais comtesse du Barry porte le pantalon, regarde le roi dans les yeux, adopte un enfant noir - c’est une vraie rebelle. Et ce ne sont surtout pas les femmes, vraies méchantes du film, qui vont se mettre en travers de sa liberté : les trois filles du roi, personnages affligeants de pimbêches puritaines fielleuses, lui prendront tout, mais pas sa dignité de martyr sacrifié sur l’autel du politiquement correct. A ce stade, confier le rôle du roi de France à Johnny Depp, icône masculiniste ressuscitée du purgatoire des violences sexistes, relève quasiment du coup de génie (tordu). Chez Maïwenn, on loue l’ordre du monde où les hommes violents sont à leur place : au sommet.

    A l’image de cette peinture à la truelle d’une société rigide dynamitée par l’arrivée d’une insoumise, l’esthétique du long-métrage souffre d’une mise en scène pataude, d’influences mal digérées. Jeanne du Barry nage en eaux troubles, quelque part entre les continents de Barry Lyndon et celui du Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Au premier, il lui emprunte un formalisme rigoureux (compositions géométriques, statisme, lumières éthérées), au second, une révérence à l’ère du temps. Mais cette déférence au classique de Kubrick est sans cesse court-circuitée par un montage empressé, à l’instar des enchainements de vignettes sur fond de voix off qui rythment le film, et ne laisse jamais à la réalisatrice l’espace nécessaire pour quitter l’ombre écrasante de son modèle. Quant à l’ère du temps, il est réduit ici à la modernité de la langue (« un p’tit bisou », « y’a », etc), qui détonne du classicisme affiché, et fait pâle figure face à l’extravagance pop de Sofia Coppola.

    Jeanne du Barry, c’est finalement le symptôme d’une industrie du cinéma régie par les rapports de domination patriarcale. Le triste spectacle d’une femme qui se débat avec une histoire d’emprise qui semble éclairer toute sa trajectoire, et dont elle a choisi de se faire le porte-étendard plutôt que l’adversaire. Difficile de lui en vouloir, au regard du parcours qui est le sien. Que toute une profession l’y encourage aveuglément, refusant au passage de  questionner un système qui permet et banalise les oppressions sexistes dans le milieu du cinéma, est écœurant. A l’image des filles du roi, sommant leur père d’observer un temps de deuil à la mort de la reine, alors qu’il se précipite avec délice dans les bras de ses maitresses, on est en droit de réclamer « un peu de dignité ».

    Arthur Bouet
    Arthur Bouet
    Journaliste

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