auteur: Ma Jian
éditions : J’ai Lu
date de sortie : août 2014
genre : Poche, récit autobiographique
Artiste aux multiples casquettes, Ma Jian raconte son voyage de 3 ans à travers la Chine à la recherche d’une identité chinoise et d’une porte de sortie du régime qui l’opprime. Les carnets de route de ce « beatnik chinois » sont certes très intéressants mais manquent légèrement de profondeur pour passionner complètement.
Ma Jian, photographe au service de la propagande étrangère, et à la fois poète et peintre, commence à être soupçonné par ses autorités de négliger son travail au profit de passes-temps idéologiquement peu recommandables. Alors qu’il sent sur lui l’étau se resserrer et que son ex-femme lui refuse de voir sa fille, Ma Jian décide de faire son sac, de quitter Beijing et de partir à la rencontre d’une vieille amie qu’il connaît finalement bien mal : la Chine.
Chemins de poussière rouge est le récit autobiographique d’un voyage effectué dans les années 80. Ma Jian explore les différentes facettes socio-historiques et politiques d’un état de son pays après que la Révolution culturelle l’ait complètement métamorphosé. Il parcourt les vestiges d’une civilisation millénaire en pleine décadence. Envahie par les touristes étrangers et cadenassée de l’intérieur, la Chine n’est plus que l’ombre de sa grandeur. Il met presque systématiquement en parallèle un passé culturel grandiose avec un état contemporain moins reluisant. Cette mise en perspective historique et sociale est un des aspects les plus intéressants du roman car elle permet de dresser le complexe portrait d’une Chine plurielle et ethniquement hétérogène. Il est rigoureux et complet, explorant les moindres recoins de son pays, plongeant les mains au plus profond de ses racines et faisant de Chemins de poussière rouge un document ethnographique précieux et passionnant.
Là où le bas blesse c’est dans l’intérêt proprement narratif du récit. En effet, Ma Jian reste assez plat dans sa prose même si les bribes de ses poèmes qu’il reprend laisse comprendre qu’il n’a rien d’un novice en littérature. Le principal problème réside, hélas, dans une comparaison qu’il s’attire lui-même. En effet, il dispose dans son livre bon nombre de citations et de références à Walt Whitman, poète qui a eu une importance capitale sur la contre-culture américaine qui nous a valu le magnifique Sur la route de Jack Kerouac. En se revendiquant ainsi de Whitman, Ma Jian force la comparaison avec le roman fondateur de la Beat Generation, lui aussi « road book » autobiographique et identitaire d’autant plus que Ma Jian appartient à une jeunesse contestataire chinoise qui se positionne, tout comme les beatniks, en opposition avec la culture dominante et apportent une importance capitale au sacré (le bouddhisme dans le cas présent). Malheureusement, la prose de Ma Jian est nettement moins puissante et poétique que le chef d’oeuvre de Kerouac.
Néanmoins, certains passages sont parcourus d’un véritable génie littéraire prouvant que Ma Jian, s’il n’a pas réussi à égaler son maître, est un véritable poète. Il a également le mérite de pousser avec Chemins de poussière rouge un véritable cri de liberté depuis un régime qui nie l’expression artistique. Et si le livre ne fait que souligner ce qu’on savait déjà à propos de la politique culturelle chinoise, il nous montre quand même que bon nombre de foyers de subversion brûlent encore au sein de cet empire.
Au final, Chemins de poussière rouge reste un livre extrêmement maîtrisé et intéressant mais manque peut-être d’un souffle qui l’aurait élevé au rang de manifeste d’une génération chinoise en quête de liberté pour qu’elle aussi puisse, un jour, comme les Ginsbergs dont elle s’abreuve « chanter son désespoir par la fenêtre ».