De Dennis Kelly. Mise en scène de Jean-Baptiste Delcourt. Avec France Bastoen. Du 10 mars au 26 mars 2023 au Théâtre des Martyrs.
Un espace blanc avec une colonne, trois marches d’escalier, le décor est épuré. La femme aux cheveux courts, vêtue sobrement, s’adresse au public autant avec la voix qu’avec le regard. « J’ai rencontré mon mari dans la file d’embarquement d’un vol Easyjet et je dois dire que cet homme m’a tout de suite déplu. »
Un moment de la période « voyage » de sa vie, juste après la période « défonce et baise ». Elle avait 25 ans et connu seulement trois partenaires sexuels durant, respectivement, un jour, six mois et quatre ans. Le moment où elle a décidé de changer de cap.
Mais, c’est quoi cette tache, là au sol ? Elle tente de convaincre cette petite fille qui porte un seau de boue, de ne pas construire un gratte-ciel dans sa chambre, tout en houspillant un Danny turbulent qui n’en fait qu’à sa tête.
Le metteur en scène, Jean-Baptiste Delcourt, a créé deux espaces (invisibles) sur scène. Dans l’un, la femme dont on ne connaît pas le nom raconte sa vie, simplement, à la première personne. Dans le second, elle dialogue avec ses enfants, en bonne mère de famille, attentive, soucieuse du dialogue avec sa progéniture, parfois un peu dépassée, allant même jusqu’à se demander si elle n’est pas une mauvaise mère.
Elle raconte la vie de couple, la confiance partagée, la fierté de celui qu’elle aime d’être en couple avec elle, ce geste d’amour quand il a accepté d’être père alors qu’elle, effondrée, se résignait à tuer son enfant pour le garder lui. Elle raconte sa vie professionnelle, le poste qu’elle a décroché au bagout, coiffant au poteau toutes les bourgeoises qui en rêvaient, la boîte qu’elle a montée avec son collègue et qui rame péniblement avant d’atteindre des sommets.
Les morceaux s’assemblent, comme un puzzle qui se construit, pièce par pièce. Mais, par touches successives, on sent que les nuages s’amoncellent. L’entreprise de son mari périclite et le coup de bluff qu’il tente en sonnera le glas. Les engueulades, les moments de conflit, la violence – « une part essentielle de notre espèce » -, jusqu’au drame impensable, indicible.
On retrouve dans le texte de Dennis Kelly le ton acerbe et critique, l’humour noir et la violence inattendue qui lui ont valu d’être catalogué comme théâtre « in-yer-face » (théâtre « coup de poing »). Girls and boys commence de manière légère avant de prendre le spectateur de court et le plonger, sans ménagement, dans l’atrocité. Les rapports femme-homme y sont envisagés sous l’angle de l’amour mais aussi sous celui du contrôle, le contrôle de l’autre ou le refus fait aux autres de prendre le contrôle.
France Bastoen habite magistralement cette femme qui cherche à se réapproprier son histoire, effaçant toute trace de son mari dans ses souvenirs, afin qu’elle redevienne supportable. La comédienne, désignée meilleure interprète par les Prix Maeterlinck de la Critique en 2022, épouse les émotions contrastées de son personnage avec une force et une justesse impressionnantes.