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    Mommy de Xavier Dolan

    mommy affiche

    Mommy

    de Xavier Dolan

    Drame

    Avec Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval, Suzanne Clément, Patrick Huard, Isabelle Nelisse

    Sorti le 8 octobre 2014

    À vingt-cinq ans, Xavier Dolan tourne toujours autour de sa mère. Dans son premier film, J’ai tué ma mère, réalisé à vingt ans, il traquait sur un mode rageur et juvénile les relations heurtées entre un adolescent et sa mère. Nous étions rivés au regard d’Hubert, à sa colère, à son avidité du monde, de l’art, de l’amour, inlassablement entravée par sa mère, pas très fun, un peu raide, touchante et dépassée.

    Avec Mommy, c’est à la mère, à nouveau interprétée par Anne Dorval, que la caméra nerveuse de Dolan s’accroche : Diane, veuve au caractère bien trempé et au verbe coloré (l’argot populaire québécois, le joual, exige des sous-titres, mais il est délicieux), récupère son fils Steve, adolescent hyperactif, provocateur et violent, qui vient de se faire renvoyer du foyer spécialisé où elle l’avait placé. En dépit des galères de boulot et du tempérament largement incontrôlable du garçon, Diane, à sa manière franche, drôle et délurée, se bat pour construire une situation vivable pour eux deux. Avec l’aide de Kyla, la douce voisine laissée bègue par un traumatisme, ils parviennent à atteindre un équilibre. Mais avec Steve, tous les équilibres sont fragiles…

    On retrouve avec Mommy ce qui rendait J’ai tué ma mère si attachant : le sens de l’excès et de l’humour, le goût des sentiments à fleur de peau et de l’amour sauvage, les cris et les larmes, la lumière vive et la brutalité des relations. La force du film réside dans l’exceptionnelle vitalité des personnages et dans la vibrante tendresse que leur porte de toute évidence le cinéaste. « Des gens méritent des rêves, des émotions. C’est pourquoi je tenais à faire un film sur des winners, quoi qu’il leur arrive au final », a expliqué Xavier Dolan : et de fait, avec leurs failles, leurs faiblesses, leurs difficultés à se projeter, Steve, Diane et Kyla sont bel et bien des winners. C’est là l’audace de Xavier Dolan, son singulier humanisme : sa croyance fervente dans l’idée que mener le combat, même s’il se termine mal, même si celui qui s’y risque tombe, est déjà une victoire. Sa foi, il la place dans ses personnages : eux qui sont issus de milieux populaires, qui parlent mal et trop fort, qui nous irritent, ont des goûts cheap, peuvent être racistes, lâches ou malsains.  Ce sont eux qu’il regarde, dont il exalte les souffrances et les désirs, parce qu’ils sont vivants : leur énergie qui déborde, et qui déborde parfois mal, Xavier Dolan la sublime. En étant sincère sans s’interdire d’être cruel, en un mot en étant lucide – étymologiquement, d’ailleurs, être lucide signifie être brillant –, Dolan nous touche, nous fait rire, nous remue.

    Bien sûr, on s’attache à ce trio, à leurs écorchures et à leurs élans. Il y a dans Mommy quelque chose de presque méditerranéen : on s’aime, on cogne, on fait du bruit. Mais ce qui bouleverse avant tout, c’est la façon qu’a Xavier Dolan de faire exister ces trois personnages ensemble, de leur offrir des moments de grâce au milieu de la mouise : un déjeuner improvisé à base de charcuterie, une cuite au crépuscule arrosée de blagues grivoises, une danse à trois dans une cuisine mal éclairée sur fond de Céline Dion. Des instants qui poussent à y croire, à se dire qu’ils trouveront leur place dans le monde.

    On perçoit dans Mommy le sentiment vivifiant d’une urgence, celle qui habite Xavier Dolan depuis sa jeunesse : il faut capter la vie tant qu’on l’a sous les yeux, s’empresser de saisir les tensions et les accalmies, les oscillations entre noirceur et lumière, parce qu’on devine que Steve n’en a pas pour longtemps à être libre, parce que l’espoir n’en a peut-être pas pour longtemps.

    Xavier Dolan n’a pas peur de l’intimité, pas même de celle qu’il instaure avec le spectateur. Il a le courage de nous prendre par la sensibilité pure, de balayer notre ironie, notre second degré, nos postures distanciées. On se surprend à être ému par un karaoké sur Andrea Bocelli, par les clins d’œil pop, à l’image de la BO émaillée de tubes nineties. On pourrait y voir de la facilité ; on peut aussi y voir, là encore, une marque de son humanisme généreux tendant à l’universel, de sa volonté de casser les barrières entre les genres, entre cinéma arty et populaire.

    Certains pourront penser qu’il en fait trop. De fait, ce n’est pas quand Xavier Dolan fait preuve d’orgueil et d’excès qu’il agace – on a plutôt tendance à penser que c’est cela qui l’empêche encore d’être lisse, de se routiniser. Ce qu’on aime moins, c’est quand le narcissisme prend le dessus. Son premier film, très autocentré, était baroque et charmant ; Xavier Dolan a mûri et assume son rôle d’enfant batailleur et prodige du cinéma international. Ainsi, dans Mommy, il scrute moins ses propres blessures que dans J’ai tué ma mère, mais il se contemple beaucoup plus en tant que cinéaste. Cette conscience d’être génial donne alors quelques longueurs, surtout vers la fin, qui dispersent la densité du film. Avec les ralentis, la musique très présente, les renvois à d’autres scènes du film, Mommy s’alourdit inutilement par endroits. Alors que Xavier Dolan atteint parfaitement ce mélange osé de profondeur et de légèreté, de lyrisme et de rudesse, quand il se passionne pour la vie qui naît si spontanément des autres, de ses héros, quand Steve, par exemple, après avoir rencontré Kyla, s’émerveille avec ces mots : « elle, son cul sent la fucking rose, c’est écrit dans le ciel! ». Là, Mommy s’envole, et nous avec.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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