Titre : Faite de cyprine et de punaises
Autrice : Lauren Delphe
Editions : iXe
Date de parution : 23 septembre 2022
Genre : Roman
Notre personnage principal vit à Montréal, en colocation avec Octavia, la belle, fascinante et désirable Octavia. Autant qu’elle semble se glisser dans les trames de sa vie avec élégance et assurance, autant notre héroïne se voit souvent se prendre les états d’âmes et les états physiques dans les fils de son existence. Rien n’est fait pour l’aider, que ce soit sa situation de handicap ou ce sac de traumas qu’elle porte parfois avec fierté, parfois avec résignation.
Alors qu’on brûle d’envie de compatir, le détachement qu’elle a vis-à-vis de certaines situations – détachement conférant à la lucidité crasse – fait qu’on sourit. Tout en sachant que ce sourire ne devrait pas être là, qu’il n’est pas à sa place dans ce récit si triste et désespéré. Cela n’empêche que ce récit-journal intime tient aux tripes d’une manière délicate ; plus on lit, plus on veut savoir, plus on s’attache.
On ne connaîtra jamais son prénom, on n’en connaîtra que ce que les gens qui traverseront sa vie en feront et ce qu’elle en dira elle-même. Mais il n’y aura bien que ça que nous ne connaîtrons pas. La narratrice ne nous cache rien, ne nous épargne rien, nous lie à elle dans un langage poétique et cru, éclairé, sincère et féroce. Dans cette langue de l’intime que Lauren Delphe manie parfaitement, érotisme et trauma se mêlent et se baignent, parfois se noient, dans une eau dépressive tantôt colorée tantôt sombre. C’est un roman drôle et dramatique, un roman intime tout en fêlures et confessions, tout en déceptions et idéaux, tout en espoir et désabusement, tout en rage et amour.
Pour finir, il est inévitable de parler de la présentation du livre. Règles de proximité, traumavertissements et reconnaissance territoriale, trois textes en préambule qui nous donnent directement la tonalité, ce roman est fort, éclairé, inclusif, traumatisant et surtout, d’une rare vérité.
Sa lecture pourra créer quelques émules chez l’un, quelque résistance chez l’autre tant il se place, et par sa forme et par son fond, politiquement et sans détour, mettant en avant des positions fortes et un vocabulaire résolument dans les luttes du moment (entre autre, féminisme, validisme, transphobie, grossophobie, etc.)
Une sorte de woke gaze peut être clivant et nécessaire.