Texte de Franz Kafka. Mise en scène de Hélène Theunissen. Avec Maxime Anselin, Jean-Pierre Baudson, Jacqueline Bollen, Cédric Cerbara, Isabelle De Beir, Dolorès Delahaut, Bernard Gahide, Julie Lenain, Stéphane Ledune, Romain Mathelart, Sylvie Perederejew, Laurent Tisseyre, Aurélien Vandenbeyvanghe. Du 20 septembre au 07 octobre 2022 au Théâtre des Martyrs.
Pour le début de sa saison 2022-2023, le Théâtre des Martyrs a misé sur Le Procès, de Franz Kafka. Au programme de cette œuvre collective de la troupe Théâtre en Liberté mise en scène par Hélène Theunissen : une quinzaine de comédien·ne·s, des dialogues kafkaïens et une scénographie contemporaine aux allures de labyrinthe mental, le tout en un peu plus de deux heures vingt.
Le Procès nous raconte l’histoire de Joseph K., arrêté le jour de son trentième anniversaire sans savoir ni par qui ni pourquoi. Commence alors un cauchemar vertigineux pour notre protagoniste qui le fera tomber de Charybde en Scylla, entre procédures paradoxales, incompréhension et faux-semblants. Accepter les règles de la machine judiciaire fut probablement la première erreur de Joseph K.
« Collectif » : tel est le mot qui définit sans doute avec le plus de pertinence cette version du Procès. Collectif, d’abord, parce qu’elle réunit l’ensemble des comédien·ne·s de la troupe Théâtre en Liberté. Le projet leur a permis de renforcer encore la cohésion si chère à la compagnie, notamment lors d’un voyage à Prague sur les pas de Franz Kafka. Cet esprit de groupe est omniprésent sur scène et fait souffler un vent de fraîcheur sur le monde du théâtre d’aujourd’hui, souvent dominé par des distributions d’une poignée de personnages. Collectif, ensuite, parce que le spectacle proposé ce soir invite les spectateurs à mener leur propre réflexion sur la situation de Joseph K. – il n’est point question ici d’imposer une lecture de l’œuvre de Kafka, mais bien d’ouvrir la porte à toutes les pistes. Collectif, enfin, parce que le plateau ne désemplit que très rarement : s’il n’est pas encore jugé par le tribunal, Joseph K. est déjà jugé par le regard des autres.
Mis en scène par Hélène Theunissen, le spectacle est indéniablement fouillé, étudié, réfléchi. On pense par exemple à la place des femmes, qui a été minutieusement travaillée pour mettre celles-ci en valeur. On pense également à l’écriture même de Franz Kafka, qu’Hélène Theunissen a abordé avec beaucoup de respect, n’hésitant pas à laisser dans le résultat final des bribes de conversation en allemand ou des moments de narration pure pour faire goûter les spectateurs à la saveur de l’œuvre originale.
Il fallait pour porter un tel projet une équipe talentueuse, et force est de constater que la troupe Théâtre en Liberté coche toutes ces cases. Quant à Bernard Gahide, interprète de Joseph K., il est de tous les tableaux et livre du début à la fin une prestation d’une qualité irréprochable.
Vincent Bresmal a de son côté mis au point une scénographie épurée, contemporaine, aseptisée, faussement désordonnée, qui embarque les spectateurs dans le cauchemar de Joseph K. et dans ses moments de déroute. Une caméra suit les comédien·ne·s et projette leurs portraits en temps réel sur les murs du décor. C’est moderne, c’est esthétique, et ça sert avec élégance le propos de la pièce.
Dans une interview au sujet de la genèse du spectacle, Hélène Theunissen explique avoir porté son choix sur l’œuvre de Kafka, car elle cherchait « une matière à la fois intéressante et rassembleuse. Une matière qui mettrait les qualités de notre équipe en valeur (…), un texte qui ouvre une fenêtre au spectateur aguerri, mais également au jeune homme de 16 ans novice en matière de théâtre ou de littérature ». À cet égard malheureusement, le bilan est plus mitigé. Car si le résultat final ne nous laisse nul doute sur les qualités de la troupe, il est peu probable qu’un novice en la matière y trouve son compte. Le spectacle dure deux heures vingt sans entracte et se base sur un roman dont la matière est, pour reprendre les mots d’Hélène Theunissen, « opaque et compliquée à disséquer ». La multitude de lectures qu’il propose et la liberté donnée au public de se forger sa propre opinion fait la force du projet, au risque, néanmoins, de perdre les spectateurs les moins aguerris en chemin.