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    Art de Yasmina Reza, au Théâtre Le Public

    Texte de Yasmina Reza. Mise en scène d’Alain Leempoel. Avec Bernard Cogniaux, Pierre Dherte, Alain Leempoel.  Du 1er septembre au 15 octobre 2022 au Théâtre Le Public.

    Pour le début de sa saison 2022-2023, le Théâtre Le Public a décidé d’ouvrir les portes de sa grande salle à Art, de Yasmina Reza. Écrite en 1994, la pièce fut ensuite traduite en 35 langues et primée dans le monde entier. Il y a donc fort à parier que de nombreux spectateurs présents ce soir n’en étaient pas à leur coup d’essai. Et les comédiens non plus, puisque Bernard Cogniaux, Pierre Dherte et Alain Leempoel ont tous trois interprété respectivement Yvan, Serge et Marc à maintes reprises depuis 1998. Eux qui avaient la trentaine à l’époque côtoient aujourd’hui la soixantaine et en profitent pour offrir à leur personnage une nouvelle interprétation.

    L’histoire est celle de Serge, Marc et Yvan – trois amis de longue date. Mais un jour, Serge fait l’acquisition d’un tableau entièrement blanc pour la modique somme de… 200 000 euros. S’en suit une joute verbale de longue haleine entre les trois amis, qui se déchirent autour de la question de l’art contemporain. Peut-on définir le beau ? À quoi l’art doit-il sa valeur ? Faut-il avoir fait des études pour apprécier une œuvre ? Autant de réflexions qui ne sont toutefois qu’un prétexte dont use Yasmina Reza pour questionner le véritable sujet de son œuvre : la valeur de l’amitié.

    Pour habiller ce débat caustique, Vincent Lemaire a opté pour une scénographie tout en noir et blanc, non sans rappeler bien sûr l’ambiance immaculée d’un musée. Par un immense miroir installé en guise de toile de fond, le spectateur est intégré à la scène et invité à interroger ses propres paradoxes. La mise en abyme est élégante et sert clairement l’intention de la mise en scène : atteindre un esthétisme résolument actuel. Les comédiens gagnent ainsi en liberté de mouvement, se permettant par exemple des discussions dos au public – au risque, peut-être, de déforcer parfois le lien entre eux et les spectateurs.

    Depuis la première représentation du trio en 1998, le temps s’est écoulé, mais le texte n’a pas changé. Tout le défi des comédiens consiste désormais à conférer à leur personnage une profondeur nouvelle, gagnée par l’expérience de la vie. On n’achète pas un tableau à 35 ans comme on en achète à 60 ans. Si l’exercice est intéressant – et donne tout son sens au théâtre en tant que spectacle « vivant » – il donne parfois l’impression de restreindre quelque peu le jeu des comédiens, comme si la maturité gagnée par leur personnage les astreignait à une certaine retenue. La colère originale a laissé place au sarcasme. Le rythme mériterait quant à lui par moment d’être plus soutenu, notamment lors des apartés, qui s’accompagnent de changements de lumière un peu trop sages.

    De son côté, l’alchimie entre les trois comédiens fonctionne à merveille. Une heure trente durant, les trois amis à la scène comme à la ville s’écharpent sur la valeur de cette fameuse toile blanche, nous offrant au passage plusieurs moments succulents et parfaitement maîtrisés. Tous trois impressionnent par leur naturel et par leur appropriation de l’œuvre de Yasmina Reza. Ce soir, les spectateurs auront autant ri que réfléchi : une réussite pour le Théâtre Le Public et le « malin plaisir » qu’il affectionne.

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