De Jérôme Colin, mise en scène de Denis Laujol, avec Thierry Hellin. Du 10 mai au 4 juin 2022 au Théâtre de Poche.
Pour cette reprise du champ de bataille, l’émotion était au rendez-vous. Celle de Thierry Hellin, le seul comédien sur scène, qui confessera avoir été mort de trouille avant la première. Le soulagement sur son visage alors qu’il était salué par la salle en standing ovation. La pièce reprend sur les chapeaux de roue. Chronique d’un père aux abois ou quand la famille devient le dernier bastion d’une guerre émotionnelle.
En adaptant le roman de Jérôme Colin, Denis Laujol nous livre un témoignage contemporain d’un père confronté à la crise d’adolescence de son fils.
« L’ennui avec les enfants, c’est qu’ils grandissent. C’est qu’un beau matin, sans prévenir, ils mettent des trainings, répondent par onomatopées et écoutent de la mauvaise musique (…) Ça coûte une fortune en crème anti-boutons, ça change d’humeur toutes les six minutes, ça a le nez qui pousse. Ça se traîne du divan au lit en mettant un point d’honneur à vous rappeler que vous n’êtes absolument pas à la hauteur de votre rôle de père. Ça vous empoisonne. Ça vous déteste. C’est cruel un enfant qui grandit. »
Confessionnal au pipi-room
C’est sur son trône de faïence qu’un père nous plongera dans la difficulté de trouver sa place au sein de la cellule familiale. Être un mari, passer de l’idole de son fils à un « boulet » à ses yeux, gérer ce que ça sous-tend d’estime personnelle, de valorisation. Sur scène, bercés par ses souvenirs d’enfance, notre personnage principal refera le cheminement de sa vie qui l’a mené ici… en ce lieu… dans le seul bastion de tranquillité de sa maisonnée : ses water-closets. Les effets lumières et sonores viendront accompagner ces moments évanescents, comme les différentes étapes d’un voyage en train. L’arrêt aux différentes stations d’une vie qui questionne sur la juste direction de son existence ou l’urgence d’un nouvel aiguillage.
Bien sûr, l’humour dédramatisera les questionnements sur la violence des rôles que nous sommes supposés tenir. Il y a surtout une réflexion plus large sur les liens réels que nous souhaitons tisser avec nos proches. Qu’en est-il de l’influence des attentes que l’on a sur nous ? Est-ce qu’on se trahit quand on vieillit ?
La guerre des émotions
Qui dit champ de bataille dit conflits. Qui dit conflits dit émotions… à vif la plupart du temps. Ce qui nous est conté ici parle d’un mécanisme fort commun. Qui ne s’est jamais senti dépassé par son quotidien ? Au point où chaque jour nous semble être une bataille de plus à livrer contre le Mr Monde. Thierry Hellin, qui incarne ce père en quête d’identité, nous livre une prestation bouleversante sur la nostalgie des premiers jours quand on est devenu un couple fatigué. Les tentatives vaines afin de faire renaitre la fameuse flamme supposée embraser des corps qui ne se connaissent que trop. A travers les mini drames du quotidien, Le Champ de Bataille parle surtout de la nécessité d’interroger des schémas, celui de la rigidité scolaire ou du poids de l’inquiétude qu’un parent peut faire peser sur son enfant.
Pour les parents d’ados, ce spectacle aura certainement une valeur cathartique. Une manière de se reconnaitre et de rire ensemble des moments compliqués qu’on peut vivre en famille. Pour les non parents, ce sera aussi une manière intéressante de requestionner le rôle des leurs. De leur pardonner aussi certainement leurs maladresses, de compatir. De comprendre qu’avant d’être parents, ils sont surtout des êtres humains soumis eux aussi aux doutes et aux affres des inquiétudes que le temps fait peser sur tous. Un spectacle qui paraphrase à merveille cette fameuse phrase attribuée à Socrate : « Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien ».