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    Plantes : Graines d’ambiguïté entre jeu et réalité

    De Juliette Tracewski avec Aurélie Alessandroni, Laurent Staudt, Isaac Thomas. Compagnie Le Kufsi. Du 19 avril au 30 avril 2022 au Théâtre des Martyrs.

    Plantes, titre mystérieux qui peut laisser imaginer aussi bien un théâtre expérimental qu’un script aux l’intentions écologique, prend pour point de départ un ficus en couveuse. Celui-ci génère plusieurs interrogations qui lèvent le voile sur la face cachée du spectacle. Ce ne sont pas les rouages de la régie qui seront mis sur le plateau, mais plutôt l’intrication délicate entre jeu et expérience. Les graines de la récursivité des arts de la scène se plantent peu à peu, nous invitant à considérer l’envers du décor comme objet réflexif.

    “Qu’avez-vous pensé de la représentation ?”, c’est ainsi que débute le script de Juliette Tracewski, donnant l’illusion que nous nous assistions à la postface de la représentation. Directement, une voix se fait entendre dans le public et impose une remarque tranchée quant au caractère inintelligible de la pièce. Cette première interaction en tisse d’emblée le fil rouge : l’ambiguïté entre fiction et réalité. Le ficus, plante qui dissimule la nudité d’Eve, se pose en objet central de la pièce dans laquelle il est à contrario révélateur. Son apparence mi-botanique, mi-futuriste créé un terreau fertile pour les questionnements métaphysiques qui ponctuent le texte. Au départ, ces réflexions peuvent apparaître comme obsolètes : trouble lors d’un baiser au théâtre, contresens du dialogue ou hésitations entre blessures factices et accidents scéniques ont le goût d’une saynète déjà-vu. Cependant, la compagnie Kusfi amène ces sujets avec légèreté et humour, posant sur eux un regard frais et plus profond qu’il n’y paraît.

    Une tension se créé entre public et acteur : le second est en perpétuelle hésitation ; s’agit-il de vrai sang ? L’œuf qu’il vient d’avaler est-il véritablement animal ? Le verre de la bouteille est-il coupant ? Grâce à une plume vive et ludique, qui ne laisse qu’une petite place au malaise que génère la promiscuité théâtrale, le spectateur devient partie intégrante du script. Intervertir en filigrane les rôles locuteur-récepteur dans le discours permet de ne pas restreindre le spectateur à une attitude contemplative. Protagonistes et comédiens ont d’ailleurs les mêmes prénoms, leurs histoires intimes viennent consteller la pièce. Les protagonistes – ou les acteurs ? – se confient amenant de l’émotion dans le genre comique. La confiance en soi, la place au sein du groupe et les traumatismes d’enfance sont évoqués, apportant un écho à nos propres expériences personnelles et transformant le plateau en thérapie de groupe.

    Les artifices du plateau sont partiellement éclairés, une mise en abîme pas si simple à jouer si l’on veut être subtile, on saluera donc l’aisance du jeu des quatre acteurs et l’originalité de leur approche. Leur complicité palpable fluidifie leur échange et créé une dynamique de réflexions spontanées. La mise en scène sobre est bien investie par ces derniers qui en capturent tout le potentiel : mur de scène, espace de régie et plateau sont mis à contribution pour jouer avec les codes du théâtre. Ainsi, l’on peut voir Laurent émerger d’un nuage de fumée de l’arrière-scène et interpeller l’éclairagiste ou Aurélie se placer dans la rampe, mêlée au public propageant un court sentiment de confusion. La petite salle du théâtre des Martyrs impose d’elle-même une intimité entre acteurs et spectateurs, une atmosphère pertinente pour ce type de jeu scénique. Une telle analyse pourrait laisser transparaître une veine clownesque, ce ne semble pourtant pas être un adjectif adapté à cette pièce qui préserve une certaine retenue.

    L’écriture méta théâtrale de Juliette Tracewski exerce une conscience critique au-delà du monde des arts de la scène. Une médiation qui dévoile nos interrogations et opère une mise à distance global sur nos cheminements de pensée. La semence du discours se constitue au fil des pans de réalité et de fiction et nourrie la parabole de la mimesis, l’ensemble s’appuyant sur l’angle ludique de la scène.

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