Une jeune fille qui va bien
de Sandrine Kiberlain
Drame
Avec Rebecca Marder , André Marcon , Anthony Bajon
Sorti le 6 avril 2022
Paris, en début de Seconde Guerre mondiale, un thème classique, qui suscite facilement l’intérêt et l’empathie. Une facilité qui attire également la méfiance, car il est difficile de ne pas être redondant et de ne pas compter que sur les bons sentiments du public. Sandrine Kiberlain choisit de l’aborder sans chiqués. Une jeune fille extravertie, un petit frère besogneux, une grand-mère rebelle et un père soucieux ; le décor est planté pour une tragi-comédie française réjouissante. Au début, pas d’indice que le monde va mal et que la situation va tourner au drame. Au contraire, Irène, le personnage principal, est rayonnante, son débordement d’énergie la rend parfois fatigante, en un mot elle est “attachiante”. Entre ses amourettes, sa passion pour le théâtre et son franc-parler général, difficile de l’imaginer en héroïne larmoyante écrasée par une fatalité historique, c’est là que se joue l’intérêt du film.
A l’été 1942, les émois sentimentaux occupent une grande place. Les jeunes ont l’âge de faire la rencontre ; l’évidence – comme le souligne Irene – se cherche à chaque coin de rue pavée, la sexualité s’exprime d’ailleurs de manière libre, ce qui paraît bien moderne pour l’époque. La jeune fille n’a pas de demi-mesure, son appétit de vivre lui fait oublier la psychose croissante qui la condamnera en sa condition Juive. Son insouciance résiste aux ombres qui se glissent insidieusement dans le tableau : occupation allemande, conciliabule entre adultes, tampon rouge sur les papiers et étoile jaune entrent en scène. Ils se fondent presque trop bien dans le tissu de cette petite vie tranquille où chaque chose semble être à sa place. Pourtant, l’écart se creuse peu à peu entre ceux qui portent la marque des bannis et les autres, créant plusieurs communautés et des jugements de valeur nouveaux.
Rebecca Marder s’en tire très bien et porte le script sans fléchir, du début à la fin, ses gestes un peu gauches et ses réparties cinglantes le maintiennent hors de la veine dramatique. Les personnages secondaires Anthony Bajon, India Hair et Françoise Widhoff forment un groupe harmonieux où chacun a une personnalité bien définie qui se calque sur les airs jazzy anachroniques. On pourrait presque penser que, sans la guerre, leur vie serait un long fleuve tranquille où l’amour et les diversions feraient loi et que seuls quelques vagues – doutes sentimentaux, échec aux concours – viendraient perturber son cours. Beaucoup d’éléments sont abordés sans les pousser jusqu’au bout, ce qui peut parfois laisser une impression de survol général, comme par exemple la disparition de Jo ou la rupture du frère d’Irène.
L’esthétique du film est similaire à celui d’un plateau de théâtre : les décors sont souvent les mêmes, les personnages se comptent sur les doigts d’une main, les habits aux lourds tissus se portent comme des costumes historiques, la gestuelle est prononcée ainsi que les intonations. Un choix qui privilégie la simplicité, ce qui excuse le manque de précision temporelle sur le début du génocide le plus marquant de l’Histoire. Une mécanique du jeu qui permet de prendre de la distance sur la situation et de voir à quel point il est facile de glisser vers une dictature lorsqu’on opère détails par détails. La légèreté des personnages reste superficielle, car le corps ne ment pas : évanouissement, yeux embués et mains qui tremblent permettent d’illustrer le poids d’une condamnation aussi réelle qu’absurde.
Sandrine Kiberlain écrit l’heure des premières affres de la jeunesse, celles de l’engagement dans une relation, dans une profession et dans un chemin de vie. À l’aube des vingt ans on a des rêves passionnés parfois disproportionnés ; c’est la brutalité avec laquelle un crime de guerre vient tronquer ces envies qui est mise en évidence lors de la scène finale. Une injustice violente qui résonne cruellement avec la situation géopolitique actuelle.