Nobody Has to Know
de Bouli Lanners
Drame
Avec Bouli Lanners et Michelle Fairley
Sorti le 23 mars 2022
Ce film de genre débute sur le ton du thriller : silences, regards en coin, menace de la nature et ombre de non-dits, planent tels des vautours. Dans cette optique, on voudrait découvrir qui, parmi les protagonistes, sont les bons ou les mauvais. Comme dans les livres d’Agatha Christie, peu de gens, un espace clos et de beaux panoramas permettant une vue d’ensemble, plantent un décor à l’esthétique quasi picturale. Il y a la sage Millie, les lèvres pincées et le dos droit, contrainte dans une retenue rigide. Il y a Phil, un homme bourru à la santé fragile qui semble respecté de tous. Puis viennent la famille de Millie, Angus, Brian, un chien et le reste de la communauté. Tous semblent avoir fait de l’Île de Lewis et Harris un sanctuaire qui les rend à la fois captifs et amoureux à leur façon. Dans une scène d’introduction domptée par le vent, Phil se retrouve face contre sable ; victime d’un AVC, il n’a, par la suite, plus que son entourage pour repère et l’on comprend peu à peu que l’élan énigmatique n’est résolument pas manichéen.
L’absence d’indices narratifs permet aux spectateurs d’émettre ses propres hypothèses et aux protagonistes de faire des choix de cœurs et de se révéler peu à peu. C’est avec fougue et opiniâtré que Millie revêt le statut d’amante auprès de Phil. C’est avec la même détermination qu’elle enfile une flasque de spiritueux pour changer sa culpabilité en ivresse et sa froideur en sensualité. Elle sera donc la compagne et l’infirmière de cet homme accidenté, seulement voilà “personne ne doit savoir” lui chuchote-t-elle, inquiète de voir sa décence de reine des glaces ébranlée. Et bien que la dissimulation ne soit pas facilitée par l’espace insulaire, il tiendra la promesse de ce secret, comblé par de dévoués sentiments. Par la suite, l’art sortira l’ancien musicien de sa torpeur : les lignes de ses tatouages fonctionnant à l’image des pièces d’un puzzle sibyllin et les vinyles de rock posant les prémices d’un retour de mémoire fragile, mais sans équivoque.
L’idée de posséder l’autre par le mensonge – comme le jeune Brian avec le chien Nigel que gardait Phil – pourrait être présentée en acte condamnable, le regard accusateur d’Angus, le père de Millie, n’est d’ailleurs jamais loin. Blasphématoire même : l’atmosphère christique du film le souligne, ainsi que les airs de violons celtiques qui insufflent un air de sentence médiévale à l’histoire. Même si le doute est omniprésent au début du film – on pourrait presque confondre Millie avec la glaçante Annie dans Misery – on se rend vite compte que seul l’amour guide les personnages dans leur tromperie : amour filial, amour du Seigneur, amour romantique. C’est donc l’affection qui prévaut sur la vérité dans ce paysage à la fois mélancolique et hostile. Ce prisme est finement exprimé par les acteurs, liés par une grande tension émotionnelle plus que par des effusions et des étreintes passionnées. L’Irish Queen – notamment remarqué dans Game Of Thrones – et le belge rock’n’roll forment un beau duo de cinquantenaire brimé par la vie. Ils ont pris cette dernière à contre-courant et se servent de leurs blessures pour prendre soin de ce qui pourrait être le dernier frisson.
Dans cette chronique nordique, les personnages semblent être en proie à une éternelle rédemption ; ce n’est ni la messe presbytérienne, ni la mer qui les unissent, mais cet état d’esprit métamorphosant l’environnement naturel en purgatoire. Le décor venteux rappelle l’univers des sœurs Brontë, propice aux drames amoureux, aux prières et aux inventions diaboliques. L’isolement est dangereux, la terre difficile à travailler, et les flots agités, pourtant la nature a des vertus apaisantes, les bourrasques balayent les regrets et la pluie guérit les plaies. L’incarnation du jugement dernier et la poétique de l’amnésie se lisent dans chaque séquence, elles épousent parfaitement le script pudique de Bouli Lanners qui tente pour la première fois l’histoire d’amour sur grand écran.