D’après le roman de Camille Laurens, Mise en scène, adaptation et co-réalisation vidéo Jessica Gazon, Avec Valérie Bauchau, Gaëtan D’Agostino, Jessica Gazon, Quentin Marteau et Benjamin Ramon. Assistanat et Création vidéo Gaëtan D’Agostino. Du 8 mars au 19 mars 2022, du Rideau de Bruxelles au Théâtre Marni.
Sorti en librairies en 2016, le roman de Camille Laurens Celle que vous croyez connait un succès littéraire qui l’amène à une adaptation cinématographique en 2019, réalisé par Safy Nebbou avec Juliette Binoche. Il ne manquait plus que le théâtre pour compléter ce palmarès et c’est chose faite avec l’adaptation proposée par la Compagnie Gazon-Nève au Théâtre Le Rideau depuis 2020. Ayant déjà reçu les éloges du Suricate Magazine il y a deux ans, la pièce est actuellement reprogrammée par le théâtre du 8 au 19 mars et il serait dommage de la manquer !
Dans son autofiction, Camille Laurens nous raconte l’histoire de Claire, une femme de 48 ans professeure d’université devenue pensionnaire dans un hôpital psychiatrique à la suite d’une expérience sentimentale désastreuse. Poussée par son désir et son besoin « d’être » dans notre société qui donne des dates de péremption aux femmes, Claire crée un profil Facebook d’une homonyme de 24 ans et rencontre « KissChris », baroudeur trentenaire dont elle tombe amoureuse. L’héroïne n’hésite pas à se comparer aux personnages de Merteuil et de Tourvel des Liaisons dangereuses par les nombreux jeux de pouvoir et de manipulation qu’elle échafaude sur son faux profil. La fiction prend le pas sur le réel quand Claire s’identifie à son homonyme, tombant dans son propre piège. Bien que novateur parce que vécu par une héroïne d’âge mûr, ce scénario aurait pu laisser un goût de trop peu si l’auteure ne l’avait pas enrichi d’une succession de mises en abyme : Camille Laurens s’intègre dans le récit en tant que Camille L., écrivaine s’identifiant à son propre personnage de Claire 48 ans, créé pour raconter un écho de son histoire.
Dans ce jeu de poupées russes identitaire, les scénarios se multiplient mais le thème central demeure comme un phare au milieu de la nuit : le rejet de la femme mûre et de sa sexualité, son invisibilité dans notre société occidentale. Comment lutter contre cette fatalité d’« exister par le regard des hommes et de mourir quand ils ferment les yeux » ? Texte résolument féministe (pas étonnant que la première représentation de la pièce ait lieu un 8 mars), Celle que vous croyez s’attaque à un réel tabou, alimenté par notre structure patriarcale qui veut que « les hommes meurent plus jeunes, mais vivent plus longtemps ».
La transposition de cette oeuvre au théâtre a un réel intérêt : il donne une force au récit, lui apportant du concret par la présence des corps sur scène (scènes de sexe, de violence ou de solitude). Approfondissant cette voie, Jessica Gazon semble vouloir forcer le trait en accentuant la présence du milieu théâtral comme cadre et ce dès le prologue : le public s’installe dans la salle alors qu’une répétition est en cours. Les nombreuses interruptions de la metteuse en scène et les pauses entre les scènes ne trompent pas. Non seulement l’idée est bonne, mais ce cadre apporte une réelle plus-value au texte. Autre choix scénographique a priori évident, Jessica Gazon mobilise un support numérique pour mettre en scène le volet virtuel. L’exploitation va cependant plus loin que la simple projection de messages Messenger ; des capsules vidéo remplacent la scène du théâtre pour raconter des parties de l’histoire jugés indispensables mais qui auraient rallongé le spectacle déjà imposant par ses (presque) 3h sans entracte. C’est sans doute le seul reproche à formuler, certainement explicable par le désir de fidélité à l’œuvre originale : la densité. Bien qu’insuffisantes, les astuces sont pourtant bien trouvées pour alléger sans perdre la richesse du texte (une répétition à l’italienne, l’exploitation des capsules vidéo, des décors mouvants…)
Enfin, cette critique ne serait pas entière si elle ne revenait pas sur la spectaculaire performance de Valérie Bauchau qui passe avec une fluidité déconcertante de Valérie Bauchau à Claire ou Camille L. à tout moment. Sa parfaite maitrise est d’autant plus importante qu’elle permet aux spectateurs de ne pas se perdre dans les méandres des histoires, entre fiction et réalité.