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    Miss Carpenter, inépuisable Marianne James

    miss carpenter affiche

    Mais comment fait-elle pour avoir autant d’énergie !?! Marianne James a beau s’être levée à 4h du matin, en ce jour de septembre, elle rayonne.

    Quand elle parle de son spectacle, Miss Carpenter, qu’elle viendra jouer au Centre culturel d’Auderghem le 18 octobre puis à Namur le 7 décembre, sa vivacité nous enchante et nous donne envie de nous plonger dans cette histoire cruelle et drôle, coécrite avec l’auteur Sébastien Marnier.

    Miss Carpenter, c’est l’histoire d’une gloire déchue d’Hollywood, oscarisée en 1967 selon ses dires, qui rentre en France et tente de renouer avec le succès.

    On a hâte de retrouver l’imagination débridée de Marianne James avec ce personnage excessif et fantasque, digne héritière l’exubérante Maria-Ulrika Von Glott qui l’avait faite connaître dans les années nonante.

    Ainsi, c’est avec plaisir que l’on rencontre une Marianne James généreuse et pétillante, une Marianne James qui a beaucoup à dire sur le cinéma, le culte du paraître, l’humour et la noirceur.

    miss carpenter photo

    Vous venez avec un nouveau spectacle et un nouveau personnage de star déchue qui essaie de renouer avec sa gloire passée. Comment sont nés cette idée et ce personnage ?

    Une amie à moi allait très mal, et nous nous relayions pour aller la voir, dans une institution plutôt chic et élitiste. À force d’y aller, j’ai commencé à nouer des connaissances avec des femmes qui étaient là, des femmes âgées, qui avaient eu des vies incroyables, et qui étaient très abîmées, par l’alcool, la dépendance… Il n’y a plus de brunes à cet âge-là, elles sont toutes blondes platine.

    À partir de là, je me suis intéressée à ces personnages, j’ai lu des biographies et des livres sur toutes ces stars qui avaient traversé nos ciels, Ava Gardner, Jayne Mansfield, Marylin, celles qui ont souvent eu des fins terribles. Je me suis énormément documentée. J’ai pensé notamment à Kim Novak, que l’on a revue l’année dernière au festival de Cannes : elle portait des talons immenses, sur lesquelles elle arrivait à peine à marcher, une robe sublime, et son visage était complètement blanc et lisse, tant elle était refaite. Quand elle a parlé et qu’on a entendu sa voix, tout d’un coup, ce n’était plus Kim Novak, cette beauté glaciale hitchkockienne, c’était une femme de son âge. Avec la voix, on ne peut pas mentir… Je voulais écrire sur ce type de femmes, qui m’intriguaient et me fascinaient.

    L’écriture s’est faite en collaboration avec un jeune auteur, Sébastien Marnier…

    J’ai lu son roman, Mimi, sans savoir du tout que j’allais travailler avec lui. J’ai trouvé son livre très « stephenkingien », glaçant. J’ai voulu le mettre de côté, mais il m’habitait. J’avais donc l’idée de ce personnage, gloire déchue qui ne cesse de répéter qu’elle a été « best actress 1967 » – en même temps on ne sait jamais ce qui est vrai ou pas, elle est un peu schizo –, et lui a imaginé ce qu’avait pu être sa vie. C’est lui qui a eu l’idée des éléments les plus trashs : la tueuse de maris ou la tueuse du chien… Il y a certaines choses que je n’aurais pas osées de moi-même. De temps en temps, je les lance au public, il est choqué, on entend une rumeur dans la salle, un « ooooooh » scandalisé, j’adore ça !

    Ressentiez-vous de la pitié pour ces gloires passées que vous caricaturez à travers Miss Carpenter ?

    Non, jamais. Elles ont eu des vies fascinantes, je n’ai pas eu leurs vies. En même temps, c’est horripilant… C’est un peu comme avec les araignées ; je les crains, mais je les respecte. Je voulais parler du fait qu’elles sont des femmes, et du règne du paraître dans le cinéma, de la cruauté de ce système envers les femmes. J’ai pensé à des choses que j’avais lues à dix-sept ans sur l’excision. Ce sont des femmes qui mutilent d’autres femmes, et elles le demanderaient peut-être pour elles-mêmes. Avec le cinéma, quand une femme en est au stade où elle se fait refaire les seins jusqu’à altérer son plaisir sexuel, c’est un peu la même chose ; c’est elle qui le fait à elle-même.

    En même temps, ces femmes qui intériorisent la cruauté du système ne sont pas que des victimes ; elles jouent le jeu…

    Oui, elles ne sont pas que des victimes. Et je trouve bien que chacun puisse faire ce qu’il veut, que les femmes puissent se faire refaire si elles en ont envie, mais surtout si ça les aide. Mais au final, cela ne les aide jamais ! Ce qui est fou, c’est que ce soit devenu si normal. C’est devenu naturel, on a « son » chirurgien esthétique comme on a son dentiste…

    La question de la place assignée aux femmes vous préoccupe depuis longtemps…

    J’ai du mal à voir que de jeunes actrices, même des actrices que je vais voir au cinéma et au théâtre, qu’on classerait plutôt dans le domaine art et essai, clament qu’elles ne sont pas féministes, comme si c’était une insulte. Je trouve ça fou : féministe est synonyme de frustrée et mal baisée, alors qu’on peut tout à fait être féministe et tout à fait satisfaite !

    Vous aimeriez aussi aborder cette cruauté du système, non pas envers les gloires pas passées, mais les jeunes, celles qui espèrent, les étoiles en devenir ?

    Oui, je l’aborde aussi dans mon spectacle. Je parle beaucoup du cinéma dans ce spectacle, d’une manière générale. Comme dans l’Ultima Récital, où il y avait aussi bien des passages des Sex Pistols que des citations de Mozart par exemple, j’ai placé dans ce spectacle beaucoup de références au cinéma, que les cinéphiles peuvent reconnaître. De nombreuses choses sont extraites d’interviews ou de discours réels. J’ai notamment cité la phrase qu’avait prononcée Annie Girardot à la cérémonie des Césars, en 1996 : « je ne sais pas si j’ai manqué au cinéma français, mais moi, le cinéma français m’a manqué ». J’ai les poils qui se hérissent en disant cette phrase chaque soir. Et le public sent cette émotion ; là, soudain, on n’est plus dans la blague.

    Pour finir, parlez-nous un peu plus de ce personnage exubérant, Miss Carpenter…

    Elle a donc connu la gloire à Hollywood, elle a même eu un Oscar en 1967 – elle case ça dès que c’est possible. Elle a eu trois maris de 91, 92 et 93 ans, elle a hérité, et maintenant, dans son 640 m2, elle s’ennuie, avec son yorkshire empaillé, ses « boys »… Il faut savoir qu’en fait, Miss Carpenter s’appelle Andrée Carpentier ! C’est cruel, mais c’est très drôle, il y a des vannes qui passent comme des aces, à ras du filet. J’adore le changement constant du personnage, toujours entre deux âges. Quand elle s’adresse à ses « boys » pour son texte, par exemple, c’est une dame de 82 ans, avec sa voix ; mais quand elle passe une audition, tout d’un coup, elle met en avant son épaule dénudée, elle n’a plus aucune difficulté à marcher, elle est de nouveau « gorgeous ». C’est une personne très intelligente. Miss Carpenter est une survivante. À la fin, c’est elle qui est debout.

    Les dates :

    Centre Culturel d’Auderghem le 18 octobre 2014 et le 30 janvier 2015

    Théâtre Royal de Namur le 7 décembre 2014

    Forum de Liège le 23 janvier 2015

    Maison de la culture de Tournai le 24 janvier 2015

    Maison de la culture d’Arlon le 28 mars 2015

    Propos recueillis par Emilie Garcia-Guillen

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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