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    Les Combattants de Thomas Cailley

    les combattants affiche

    Les Combattants

    de Thomas Cailley

    Comédie, Romance

    Avec Adèle Haenel, Kevin Azaïs, William Lebghil, Brigitte Roüan, Antoine Laurent

    Sorti le 10 septembre 2014

    Au début des Combattants, on redoute le film de post-adolescents qui glandent à la plage, entre aventures amoureuses et intrigues familiales : le film français sympathique mais plutôt mou qui sonne un peu faux, avec ses acteurs aux intonations du Nord de la Loire supposés vivre en plein sud-ouest, à l’orée de la forêt des Landes.

    C’est l’été, et Arnaud donne un coup de main à l’entreprise de menuiserie familiale, secondant son frère dans la construction d’abris de jardins. C’est ainsi en passant ses journées dans le jardin des Beaulieu qu’il fait la connaissance de Madeleine, jeune fille blonde et pâle de son âge, et c’est à partir de là que le film prend des directions déroutantes.

    Car Madeleine est précisément à l’opposée de la candidate idéale pour un amour d’été : butée, coriace, agressive, d’une délicieuse noirceur, elle a abandonné ses études d’économie pour se préparer à entrer dans les commandos, seule issue selon elle pour apprendre à sauver sa peau dans un monde condamné à disparaître, dans le bruit et la fureur si possible. Arnaud, doux, paisible, un peu indolent et pas vraiment déterminé à prendre sa vie en main observe avec fascination et incrédulité cette combattante, qui nage avec un sac rempli de briques, frappe comme un guerrier et boit du jus de maquereau parce qu’il faut apprendre à les manger crûs, en entier, la tête en premier, pour être admis dans le bataillon qui l’attire. Au diable les abris de jardin : il se débrouille alors pour l’accompagner dans son stage de préparation militaire, qui prendra un cours inattendu…

    On s’attendait à une bluette sur la côte Atlantique, nous voilà en treillis kaki dans la forêt, dans un film où les relations, les péripéties et les émotions ne prennent jamais le chemin attendu. L’étonnement qui naît du film procède du détournement des codes, et avant tout ceux de la romance. Ainsi, quand Arnaud et Madeleine se touchent, c’est d’abord pour s’entraîner à la « double visualisation », technique militaire destinée à donner de la puissance au coup de poing. Quand Arnaud suggère que Madeleine pourrait sortir avec eux en boîte le soir, elle répond sèchement « comme tu veux » avant de plonger, histoire de renforcer encore sa condition physique. Le face-à-face entre la brutalité de Madeleine, individualiste forcenée qui ne sait pas quoi faire des sentiments et des émotions, toute entière obsédée par la fin du monde, et Arnaud, pour qui la survie réside d’abord dans le fait de savoir s’ennuyer, leur lent apprivoisement, toujours sur le fil, soutiennent notre attention et nous touchent du début à la fin. Rien ne lasse dans le récit de la relation délicate, en zigzag, qui se noue entre eux alors qu’ils se détachent peu à peu des liens du quotidien et des contraintes sociales, devenant d’improbables compagnons d’aventure, de plus en plus mis à nu. On s’évade ainsi, au cours du film, d’un monde en crise et des avenirs incertains vers la beauté du monde, les bruissements de la forêt, la lumière étincelante et sensuelle de l’été, les ruisseaux où Madeleine nage enfin librement, sans se soucier de technique : la survie passe par les pas de côté.

    Les Combattants joue avec les genres, nous emmenant de la comédie romantique à l’équipée sauvage, allant même jusqu’à l’hallucination digne du film catastrophe, sans que sa cohérence en pâtisse. Ce qui tient le film, c’est l’excellente qualité des dialogues, leur humour et leur justesse, et la vraisemblance des deux personnages, campés par des acteurs impeccables (Adèle Haenel est magistrale), enfants chacun à leur manière d’un monde qui court à sa perte, garçon et fille d’aujourd’hui qui réinventent le rapport aux sexes, à l’autonomie, aux injonctions sociales. À l’amour, aussi : c’est quand on pose des pièges en forêt, quand on se fabrique un abri, quand on pêche et qu’on chasse, quand on est, en somme, désarmé par le monde, ses merveilles et ses menaces, que naît l’intimité, la petite bulle où l’air est respirable.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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