Le procès de Viviane Amsalem
de Shlomi Elkabetz et Ronit Elkabetz
Drame, Policier
Avec Ronit Elkabetz, Menashe Noy, Simon Abkarian, Sasson Gabai, Eli Gornstein
Sorti le 10 septembre 2014
Malheureuse dans sa vie de couple, Viviane souhaiterait divorcer de son époux, Elisha. Situation banale, a priori, sauf que Gett se passe aujourd’hui en Israël, où l’obtention de l’acte de divorce (gett, en hébreu) est tout sauf une formalité administrative. En effet, le mariage civil n’y existe pas et seul l’époux peut accorder à sa femme le gett, qui défait les liens du mariage et la rend alors « permise à toute homme ». Mais s’il ne consent pas au divorce, la femme doit se lancer dans un parcours du combattant devant la cour rabbinique, seule compétente en matière d’unions, pour contraindre son mari à lui accorder sa liberté…
Après s’être penché, dans Prendre femme et Les sept jours, sur les pesantes chaînes de la tradition qui enserrent la société israélienne, Ronit et Shlomi Elkabetz dressent ici le portrait glaçant du patriarcat, de l’oppression sexiste et de l’emprise religieuse qui régissent aujourd’hui l’institution conjugale.
Le film s’organise autour de la succession d’audiences, qui voient pendant cinq ans s’affronter devant les rabbins Viviane, Elisha – quand il daigne se présenter au tribunal – et leurs défenseurs. La réalisation austère et l’unité de lieu, accentuée par les gros plans sur les visages des époux et des rabbins, les vêtements noirs découpés sur le fond blanc des murs derrière eux, renforcent une atmosphère d’enfermement et l’impression que nous avons d’être, avec Viviane, soumis dans la profondeur de notre intimité au bon-vouloir de ceux qui représentent un ordre dont la rigidité conservatrice et inique est difficilement imaginable.
En effet, le mari n’a pas battu sa femme ; il n’est pas atteint d’une grave infirmité ; il subvient aux besoins de sa famille. Alors, se demandent les rabbins et certains témoins, pourquoi donc cette femme s’entête-t-elle à vouloir divorcer ? Elle ne l’aime plus, elle ne supporte plus de vivre enfermée avec un homme dont la stricte obédience aux préceptes religieux lui fait désormais horreur, elle a quitté le domicile conjugal depuis trois ans ? Aux yeux des rabbins, ce ne sont pas à proprement parler des motifs valables. Chargés de veiller à la stabilité de l’organisation sociale, qui repose sur des foyers juifs unis, et bien qu’ils comprennent le sentiment de désespoir de Viviane, ils sont a priori du côté de la loi judaïque, issue des textes sacrés, et la loi est du côté des hommes.
À travers l’auscultation d’un mariage en attente de dissolution, Ronit et Shlomi Elkabetz peignent avec humour et cruauté un microcosme de la société israélienne, écartelé entre l’aspiration à l’autonomie et le respect d’un ordre social dérivant de l’ordre divin, avec une maîtrise quasi théâtrale du mélange des genres. Le film oscille ainsi entre comédie et tragédie : le décalage est frappant entre ces principes qui nous paraissent absurdes dans leur anachronisme et l’enjeu, à savoir la liberté d’une femme, mais aussi celle d’un homme, entravé de manière presque maladive par ses propres principes.
Au-delà de la dénonciation sans fard d’une injustice criante faite aux femmes aujourd’hui dans un pays censément moderne, la force du film réside dans ses personnages. Viviane, digne, souvent silencieuse, qu’on devine tiraillée entre l’envie d’exploser, et sa raison qui la pousse, en toute connaissance de la procédure, à se maîtriser et à attendre. Elisha, troublant dans son obstination, incapable d’exprimer les sentiments qui l’attachent de manière presque délirante à Viviane. Et puis les autres, l’avocat qui fulmine pour faire jaillir l’hypocrisie rampante de la situation, les témoins et amis qui défilent à la barre et règlent leurs propres compte, les rabbins qui traitent une affaire humaine sous le regard de Dieu.
Malgré quelques longueurs et un procédé cinématographique qui peut finir par lasser, GETT, le procès de Viviane Amsalem est avant tout un film important, un de ceux qui nous révèle le monde tel qu’on ne le croyait plus possible, un de ceux qu’il est urgent de se mettre sous les yeux à l’heure où certains estiment que le féminisme est un combat d’arrière-garde, et dont on espère qu’il poussera à faire progresser une société, et l’ensemble de l’humanité à travers elle. On retiendra cette scène saisissante où Viviane, dans un bref moment de lassitude et de distraction, lâche ses cheveux et y passe la main, tandis que les rabbins, la sommant de cesser ce geste obscène, ne peuvent détacher d’elle leur regard, fascinés par ce qui apparaît comme une suprême transgression. Derrière ce regard des juges, on devine des hommes comme les autres, naturellement attirés par le jeu d’une main de femme dans ses cheveux libres : tout pourrait être si simple.