Scénario : Aimée de Jongh
Dessin : Aimée de Jongh
Éditeur : Dargaud
Sortie : 21 mai 2021
Genre : Documentaire, Historique
Jours de sable n’est pas une bande dessinée journalistique, pas plus que John Clark n’est un personnage réel. Mais ce jeune reporter à qui l’ouvrage est dédié, tout fictif qu’il est, nous paraît familier. Sympathiquement lisse, ce n’est pas pourtant pas à Tintin qu’il nous fait penser mais bien à un Walker Evans en grande pompe. Mais oui, bien sûr. Dans cette fiction, nous sommes en 1937 et John Clark est engagé par la Farm Security Administration, comme Evans et son homologue féminin Dorothea Lange le furent dans la vraie vie, pour capturer en image la précarité de ceux qui vivent dans la Dust Bowl durant la grande dépression. Envoyé dans un Oklahoma aride, notre héros souriant et dévoué – finalement Tintin n’en est quand même pas si éloigné – se verra confronter à l’hostilité des habitants qui pourront se montrer aussi secs que le climat. Ceux qui cultivent les raisins de la colère ne sont pas décidés à ouvrir leur porte à cet inconnu citadin.
Techniquement maîtrisé
C’était un album attendu pour les fans de bande dessinée, tant pour le sujet, le traitement graphique que pour son auteure qui commence à se faire un petit nom. Et visiblement, nous ne sommes pas déçus. de Jongh nous promet un roman graphique techniquement maîtrisé, inventif dans sa manière d’occuper la planche tout en restant assez traditionnel et c’est exactement ce que nous tenons en main. On sent que l’espace de la page est investi d’une mission, celle de rendre compte de l’espace réel, du lieu de l’histoire. Dans les cases à fonds perdus, on s’imagine bien plongé dans le silence et la misère de ces terres sablonneuses. Si le fond se lie à la forme dans la tabulation, c’est un peu moins le cas dans l’identité visuel de l’histoire – on regrette parfois la forte démarcation de l’image par le trait qui laisse peu de place à des ambiances brumeuses. Mais au-delà du dessin même, c’est la couleur qui donne vraiment sa force à l’ouvrage. Jouant sur une palette de jaune, de bleu et de mauve dans ces grands paysages, de Jongh parvient à rendre compte de l’ambiance d’une Amérique oubliée.
Pouvoir de la mise en scène
On évoquait Walker Evans mais le lien qui unit la bande dessinée et la photographie dans cet ouvrage va plus loin qu’un hommage aux grands artistes américains. En chapitrant son album à l’aide de photographies d’époque, l’auteure amorce un début de réflexion sur ce qui unit les différentes manières de faire l’image. Mais là où les intentions se dessinent vraiment (et c’est le cas de le dire), c’est lors du discours que tient une employée de la FSA à John Clark, conseillant au photographe de ne pas négliger le pouvoir de la mise en scène. Dans une appréciation populaire, le dessin serait plus un art du mensonge, puisqu’il permet de plus grande déformation de la réalité, alors que la photographie s’appuie directement sur le réel. Mais l’image quelle qu’elle soit, dépend d’un point de vue et l’histoire qu’elle raconte peut faire l’objet d’une construction consciente ou inconsciente. Du début à la fin, Aimée de Jongh s’amuse à jouer sur ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, ce qui appartient à l’Histoire et ce qui a été imaginé – et ce même jusqu’aux personnages – proposant une véritable réflexion sur le rapport entre fiction et réalité à travers l’image.