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    « Âme brisée », la musicalité des mots

    Titre : Âme brisée
    Auteur : Akira Mizubayashi
    Editions : Folio
    Date de parution : 6 mai 2021
    Genre : Roman

    L’âme se définit d’abord comme un concept parfois nébuleux, qui renvoie au principe spirituel du vivant, à sa sensibilité et à ses pensées. Mais l’âme – comme beaucoup d’autres termes appartenant au lexique de l’être humain et dont l’art de la lutherie s’est emparé – désigne également une petite pièce en bois interposée dans le corps de l’instrument à cordes. Mizubayashi se jouant de l’ambivalence du terme, nous raconte l’histoire de deux âmes brisées, celle d’un enfant déraciné et celle d’un violon détruit sous le poids de la haine et de l’ignorance.

    Dans le Japon des années 30 – alors que l’île est frappée par une puissante vague nationaliste – Rei assiste impuissant à l’arrestation de son père. Le crime qu’a commis Yu et qui lui coûtera la vie c’est celui de s’être réuni avec un groupe d’amis musiciens d’origine chinoise pour répéter la Rosamunde de Schubert. Accusés de complotisme, les compères tentent d’expliquer leur projet mais le ton monte et le violon de Yu se retrouve brisé. Si Rei s’en sort indemne, c’est grâce à la présence d’un lieutenant mélomane qui le couvrira et lui rendra le superbe instrument mis en pièces. C’est ce petit geste qui décidera du sens que donnera Rei à sa vie, un Rei adulte désormais Français.

    C’est un voyage plein d’émotions que nous propose l’auteur, à cheval entre le Japon et la France. Certes, l’histoire en tant que telle est bouleversante, mais plus que l’histoire c’est la manière de la raconter qui nous remplit d’une douce tristesse. La plume est particulière, Mizubayashi s’attarde sur peu de scènes – le livre donne l’impression d’être un ensemble de huis clos comme arrêtés dans le temps – et ce, dans une écriture limpide mais pas dépourvue d’images. Il y a d’ailleurs un rapport très particulier au temps qui s’installe dans Âme brisée notamment marqué par les flashbacks et les répétitions – ce qui est d’autant plus ingénieux que le livre parle de musique et donc aussi de rythme.

    Et c’est, en effet, un des défis que s’est lancé l’auteur dans cet ouvrage qui a remporté le prix des libraires, celui de construire des ponts entre la musique et la littérature. La preuve la plus évidente de cette entreprise n’est autre que le chapitrage qui divise le livre comme une symphonie. Mais au delà de la forme, le fond est également un marqueur de ce lien qui unit les deux arts. Dès les premières pages, l’amour que porte Yu à la musique fait écho à la soif de lecture qui habite Rei. Et plusieurs fois dans l’ouvrage, les mots sont comparés aux notes de musique qui s’enchaînent sur le papier et qui créent une mélodie d’ensemble, une vitesse, une poésie. Plus que le lien entre texte et partition, c’est aussi le principe de sonorité qui est mis en valeur, la sonorité des notes comme celle des mots – et c’est d’autant plus marqué que Mizubayashi joue sur la transculturalité de son histoire en comparant la langue française à la langue japonaise. D’ailleurs, en abordant le déracinement, la double-culture, la musique et les livres c’est une grosse part de lui-même que glisse dans son ouvrage l’auteur japonais vivant en France, aussi écrivain que mélomane.

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