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    « J’ai couru vers le Nil », une mise en garde universelle

    Titre : J’ai couru vers le Nil
    Auteur : Alaa El Aswaany
    Editions : Babel
    Date de parution : 7 avril 2021
    Genre : Roman

    Interdit dans les pays arabes (excepté au Maroc, Tunisie et Liban), J’ai couru vers le Nil d’Alaa El Aswaany nous fait vivre à l’échelle de quelques personnages ce qui s’est noué lors de la révolution égyptienne de 2011 et la réponse implacable de l’état profond et des castes privilégiées. Un livre édifiant qui mêle les petites histoires individuelles, pleines d’humanité à la grande Histoire. Une lecture passionnante pour comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la dictature, la corruption et la chape de plomb qui règnent en Egypte.

    La révolution de la place Tahir en 2011 est au cœur de ce roman qui met en scène différents personnages qui y ont participé de près ou de loin, en tant que manifestant ou acteur du régime. On y retrouve une galerie de personnages nous faisant revivre la fièvre populaire qui s’est emparée de l’Egypte pour aboutir à la destitution de Moubarak : un général et sa fille qui s’amourache d’un de ses camarades manifestant, un bourgeois copte qui trompe sa femme avec leur servante, une professeure intègre, un ex-communiste devenu dirigeant d’usine, une célèbre présentatrice de télévision, un cheikh acquis au régime, etc.

    Ayant levé l’espoir d’une plus grande justice sociale, la révolution a ensuite fait l’objet d’une répression brutale aussi bien physiquement qu’en terme de lavage de cerveaux. On y voit comment le régime après s’est débarrassé de Mubarak a mobilisé tous ses leviers pour jeter le discrédit sur les manifestants de la place Tahir, notamment en les menaçant, les accusant d’être payé par Israël et d’avoir des mœurs légères.

    Alaa El Aswaany, auteur mondialement connu par son livre L’Immeuble Yacoubian, signe ici un grand roman de société à forte teneur politique. Il y décrit la société égyptienne au moment des Printemps arabes, en reprenant notamment les dépositions de certains manifestants sur les violences commises à leur encontre par le pouvoir militaire. Bien que son texte soit un roman, sa description précise des mécanismes à l’œuvre dans le totalitarisme a amené l’Egypte à émettre des poursuites à son égard pour insultes envers le président, les forces armées et les institutions judiciaires égyptiens. Ce qui l’a conduit à s’exiler aux Etats-Unis, malgré son amour de l’Egypte.

    Alaa El Aswaany fait naître des personnages très attachants, en donnant une place importante à leurs amours, leurs petits travers et leur grande humanité. La description du Général Alouani, un des grands manitous de l’armée égyptienne, fait l’objet d’un travail d’orfèvre. La façon dont il fait l’amour, accompli ses obligations ou fait jouer la corruption est un régal. Il appelle ainsi le recteur de l’université pour lui demander de ne surtout pas favoriser sa fille, qui reçoit bien sûr les meilleures notes. Grâce à cette lecture, on a l’impression de percer quelques-uns des codes des pays arabo-musulmans, de comprendre ce qui s’y trame en matière de corruption et du ressenti populaire. Un des personnages s’exclame ainsi : « Nous sommes en Egypte, l’injustice est la règle ».

    Au-delà de l’acerbe critique sociale, notamment sur le rapport au religieux, les arrangements avec les frères musulmans ou l’hypocrisie qui sévit partout, ce roman-chorale réussit habilement à entremêler les histoires de ces personnages multiples, cette petite humanité, avec un bon sens du rythme. On le referme en comprenant les ressorts de la faillite des états et le désespoir d’une population dont les gouvernants se préoccupent si peu. En ceci, ce roman est une mise en garde universelle, pour qui veut l’entendre.

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