Titre : Paresse pour tous
Auteur : Hadrien Klent
Editions : Le Tripode
Date de parution : 6 mai 2021
Genre : Roman
Dans ce roman, écrit sur fond de confinement entre mars et décembre 2020, l’auteur nous plonge dans la France de 2022 en pleine campagne présidentielle. Le protagoniste principal, un économiste quadragénaire doté du prix Nobel se lance dans la course avec un programme radical : réduire la semaine de travail à 15 heures. Aura-t-il une chance ?
Qui se cache derrière le pseudonyme d’Hadrien Klent ? L’auteur de Paresse pour tous, qui a déjà publié Et qu’advienne le chaos (2010) et La Grande panne (2016) nous donne à lire un roman de légère anticipation qui frise le plaidoyer en faveur d’une société qui dépasse le productivisme. Tout semble réussir à son personnage principal, Emilien Long, éminent professeur d’économie, Prix Nobel, qui par envie de sauver les gens et la planète se lance dans la course présidentielle. Même si on en apprend beaucoup sur les ressorts d’une campagne et sur le rôle des médias, les élections présidentielles ne sont qu’un prétexte pour articuler une intrigue.
Se donner le temps de vivre
Le fond de l’histoire, c’est bien la place du travail dans nos vies et à travers lui, aux priorités que l’on se donne individuellement et collectivement dans un monde consumériste. Si l’on réduisait notre temps de travail et limitions les écarts de salaire (de 1500 à 6000 euros), aboutirions-nous à la décroissance heureuse décrite ici et utiliserions-nous ce temps libre pour s’occuper de soi (plus de sport et de culture), des autres (plus de communauté et de bénévolat) et de la planète (plus de jardinage et d’agriculture bio) et faire œuvre utile ?
Le sémillant personnage de Souleymane, ambassadeur-poète devenu conseiller à la culture résume bien l’état d’esprit du livre d’une société libérée du productivisme. « Le travail est un contrôle, la société du travail est une société corsetée, empêchée de se déployer. Il faut prendre le temps de réfléchir, d’inventer, de créer ».
Les aléas en fin d’histoire (on en restera là pour éviter le spoiler) nous questionnent quant à l’intention de l’auteur : humanisation des personnages ou volonté de contraste entre le dire et le faire ?
Ce livre est aussi une ode à Marseille, qui est exposée dans toute sa luminosité, sa minéralité et son ambiance unique. Par ces temps de confinement, quel plaisir de retrouver à travers ces pages, les sites magnifiques que constituent les calanques de Sormiou ou encore le toit végétalisé du musée MUCEM (musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) avec sa vue sur le port.
Une critique sociale intelligente
Hadrien Klent balaye large pour ce programme révolutionnaire qu’il met dans la bouche de son personnage principal. Outre des journées de trois heures, interdiction des pesticides endéans les deux ans, droit d’asile élargi, taxation des GAFA, logiciels libres, moratoire sur la 5 G et les nanotechnologies. Le récit est structuré à partir du journal du protagoniste principal, avec en première partie la rédaction d’un livre dans le livre, qui constituera la matrice du programme politique porté par Emilien Long.
Dans cette fiction qui sonne par moment comme un plaidoyer pour un monde meilleur, l’auteur, clairement érudit et bien au fait des enjeux de société, multiplie les références dont Sénèque qui déjà, en l’an 52, écrivait sur la brièveté de la vie ou l’oisiveté (pour se consacrer à l’étude de la sagesse) ou encore Keynes et sa lettre à ses petits-enfants qui prévoyait lui aussi la disparition du travail aux alentours des années 2030 une fois la félicité économique accomplie… Une biographie de quelques pages, y compris une bande-son, incluant Angèle et son single Flemme ou encore Pink Martini et son célèbre Je ne veux pas travailler, clôture le récit.
On pourrait dire de Paresse pour tous que c’est une œuvre un brin « woke ». L’auteur insiste sur des positions clés données à des personnes issues de la diversité, notamment le poste de journaliste au Monde occupée par Nadia Ben Arfa, récemment diplômée de sciences-po et intégrée via le concours prévu pour les zones d’éducation prioritaire.
Voici une lecture intelligente, bien construite, humaniste et portée par une prose agréable. Un vrai régal !