Scénario : Anne-Caroline Pandolfo
Dessin : Terkel Risbjerg
Éditeur : Casterman
Sortie : 17 mars 2021
Genre : Roman graphique
Que les amateurs de Enferme-moi si tu peux se réjouissent, Pandolfo et Rijsberg reviennent en force avec une bande dessinée sensiblement identique, recyclant la thématique autant que le graphisme. Seul le format diffère. Le binôme, s’étant lassé du principe de micro-documentaire qu’ils avaient mis en place dans le dernier album, s’engage ici dans un projet de fiction longue.
Un récit bien réfléchi
Ce changement de stratégie narrative est payant. On sent que l’histoire ne sert pas de prétexte au dessin et que, malgré certaines facilités scénaristiques, le récit a été assez bien réfléchi que pour être surprenant mais pas trop. L’album se divise en trois parties inégales. Dans la première, nous sommes à la fin du XIXeme et notre héroïne, Rachel, s’est vue affublée d’un don, à la fois profitable et handicapant, qui lui permet de voir ce que personne ne peut savoir. Véritable attraction de foire, elle croupit sur une chaise en bois pendant des heures, voyant défiler les nantis qui lui demandent, pour la tester, ce que contiennent leurs poches, le dernier cadeau reçu, ou encore la description de leur demeure. Mais quand Rachel leur parle de leur futur ou leur annonce une mauvaise nouvelle, l’assemblée rit jaune. Petit à petit, Rachel fatigue d’être convoitée pour être utilisée. Son pouvoir l’isole. Il l’anonymise jusqu’à la faire disparaître.
La valeur spirituelle de l’acte de création
Les deux parties suivantes, toujours en rapport avec Rachel mais mettant en scène de nouveaux personnages – toutes des femmes d’ailleurs – nous fait voyager à travers le temps et l’espace. En se concentrant d’abord sur l’histoire d’une femme voyante et ensuite sur celles de deux artistes, les auteurs établissent – élément qu’on retrouve d’ailleurs dans Enferme-moi si tu peux – un lien naturel entre un don qui serait d’ordre ésotérique et le don artistique, engageant une réflexion quant à la valeur spirituelle de l’acte de création. Et ce n’est pas le seul rapprochement qui peut être fait entre ce précédent ouvrage, qui retraçait le parcours d’artistes passionnés en marge de la société, et Le Don de Rachel. Pandolfo et Rijsberg nous introduisent ici encore dans le quotidien de personnalités extraordinaires et pourtant anonymes – sans parler du parti-pris de n’imaginer que des personnages féminins et donc, par définition, généralement sous-représentées dans la bande dessinée. Mais la magie occupe une place plus importante dans ce dernier ouvrage. D’ailleurs, mystique, l’histoire de Rachel possède des qualités sémantiques avec lesquelles jouent les auteurs, faisant apparaître des signes dans le choix des prénoms, des lieux ou encore des époques.
Un style graphique efficace et envoûtant
Dès la couverture, on reconnaît le style de l’illustrateur Rijsberg, ses personnages aux grands yeux, son trait brossé et l’effacement des bords de ses cases. Mais ce style, qui paraissait parfois un peu redondant dans Enferme-moi si tu peux, trouve tout son sens dans les ambiances du vieux Paris où se déroule l’histoire. De temps en temps, on se laisse emporter par les couleurs de rouille typiques des zoos humains de l’époque, par le halo de lumière que dégage la lune naissante ou encore les fenêtres à peine éclairées dans la nuit. Certaines expressions faciales sont également surprenantes. On s’amuse des têtes que tirent les bourgeois, au teint blafard et aux visages allongés. Et même si on préfère les jeux de masse qui s’opèrent dans Le Don de Rachel – surtout quand Rijsberg s’octroie quelques libertés graphiques pour rendre l’album plus féerique, plus envoûtant – on ne peut nier les qualités du trait de l’illustrateur, qui apporte une netteté et une rapidité à l’histoire.