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    « Nomadland », l’exil du rêve américain

    Titre : Nomadland
    Autrice : Jessica Bruder
    Editions : J’ai Lu
    Date de parution : 25 novembre 2020
    Genre : Enquête, témoignage

    Nomadland est le compte rendu de trois ans d’enquête sur une communauté d’exilés d’un nouveau genre : les van-dwellers (« habitants de van »). Ce sont des Américains de la classe moyenne qui, rattrapés par la crise des subprimes et les dettes du rêve américain, investissent leurs derniers deniers dans des véhicules (le plus souvent des vans) aménagés avant de prendre la route vers une vie alternative. Libérés d’obligations financières intenables, mais pas totalement hors du système, ils deviennent des nomades d’un nouveau genre, à la fois plus libres, mais corvéables à merci comme travailleurs saisonniers.

    C’est au travers de Linday May, une van-dweller de 69 ans qui rêve de bâtir sa géonef, que Jessica Bruder et le lecteur sont familiarisés à la communauté des van-dwellers, ses membres et leur histoire, leurs trucs et recommandations, leurs expériences et leur rendez-vous annuel en Arizona le « Rubber Tramp Rendezvous ». Le voyage est fascinant, car ce mode de vie révèle deux facettes très différentes que Bruder retranscrit très bien.

    Le titre complet du livre en anglais est révélateur : « Nomadland: Surviving America in the Twenty-First Century » (« Survivre l’Amérique au 21ème siècle »). En effet, ce que décrit l’enquête, c’est l’échec du système américain. Sans sécurité sociale et système de retraite généralisés et publics, les citoyens américains sont vulnérables. Et à cela s’ajoute les conséquences toujours perceptibles de la crise des subprimes de 2008. De nombreux van-dwellers sont d’anciens représentants de la classe moyenne qui ont tout perdu. Ils se sont retrouvés endettés quand la machine au-dessus d’eux s’est grippée : des maisons achetées chères et revendues pour des bouchées de pain, des problèmes de santé et des emplois perdus alors qu’ils terminaient de payer des dettes antérieures les ont plongés dans la précarité.

    Devenus nomades, et ce souvent à l’âge de la retraite, ils et elles voyagent alors d’un emploi saisonnier mal payé à un autre : gardiens de campings, ouvriers pour la récolte de betteraves ou fourmis laborieuses dans les programmes CamperForce d’Amazon, où l’écœurante surconsommation se confronte à l’abrutissement mental et la maltraitance légalisée des employé.e.s. Enfin, Jessica Bruder évoque aussi la criminalisation croissante du nomadisme aux Etats-Unis, la hantise de déchoir encore plus de statut, et de passer de celui original de « sans maison » à celui honteux de « sans domicile fixe ». Elle ne manque pas non plus de souligner que ce mode de vie est exclu pour les personnes de couleurs pour qui un simple contrôle policier peut signifier un arrêt de mort.

    D’un autre côté, après avoir fait le deuil de leurs économies et des récompenses promises à la classe moyenne, ces Américains posent un choix dans la contrainte et reprennent une forme de contrôle en embrassant leur nouvelle vie de nomade. Et si cela ne se fait pas sans efforts, l’indépendance nouvellement acquise, le minimalisme de leur style de vie, la traversée de paysages au fil des saisons, la débrouillardise, l’entraide et le partage qui règne au sein de la communauté des van-dwellers, tout cela semble être la source d’un sentiment de liberté et de bonheur particulier.

    Le véritable atout du livre est donc certainement son sujet, la description nuancée et honnête qu’en fait Jessica Bruder et les gens très attachants que l’on rencontre au travers de ses pages. Le seul bémol, de taille malgré tout, est que la narration n’est pas particulièrement agréable à lire. Le rendu est un livre assez plat où l’utilisation du passé simple dérange autant qu’elle dénote, et où de nombreuses répétitions et énumérations alourdissent la lecture.

    L’intérêt du sujet explique par contre que l’ouvrage soit devenu un film éponyme, réalisé par Chloé Zha, avec de véritables van-dwellers, dont Linday May, devant la caméra et l’impressionnante Frances McDormand. Le long métrage, qui avait déjà remporté le Lion d’Or au Festival de Venise, s’est encore récemment distingué en remportant le Golden Globe du meilleur film dramatique et celui de la meilleure réalisatrice, Chloé Zha devenant ainsi la deuxième femme à remporter ce prix.

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