De Elena Doratiotto. Mis en scène de Françoise Bloch. Avec Elena Doratiotto, Jules Puibaraud, Léa Romagny, Aymeric Trionfo. Du 29 septembre au 10 octobre 2020 au Théâtre National. Crédit photo: Antonio Gomez Garcia
Qu’est-ce qu’un point de rupture ? Dans la société dans laquelle on vit, il n’est pas rare de se sentir emprisonné dans des situations professionnelles frustrantes et épuisantes. On se présente à un entretien de travail, par exemple, en essayant de donner des bonnes réponses, on met en avant exactement ce qu’il faut, ce que l’employeur veut entendre, on se formate pour rentrer dans des cases précises, pour que l’on soit choisi, parmi tant de candidats. Ou encore, au travail on se censure souvent, on se contente d’une position qui nous n’intéresse pas, on ne se respecte pas soi-même pour respecter les hiérarchies. Un point de rupture c’est le moment précis dans lequel on décide que « ça suffit » et soudainement on recommence à mettre en avant l’humain, à dire ce que l’on pense et à désobéir. Quand on se soustrait d’un certain système, on rompt avec les schémas et on se désinscrit d’un certain groupe duquel on faisait partie jusqu’à ce moment-là. On crée aussi une alternative, une autre manière d’agir, de penser, d’être. Françoise Bloch et ses comédiens proposent un spectacle qui aborde ce sujet d’extrême actualité ; mais il s’agit aussi d’une thématique transversale et intemporelle qui touche aux conflits entre le respect de l’humain et le développement inarrêtable d’une société capitaliste et consumériste.
Bien avant que les lumières s’éteignent et que le public soit installé, les comédiens échangent quelques mots entre eux, croisent le regard des spectateurs, commencent à habiter la scène par des petits gestes. Sur le plateau, un mur blanc, quelques chaises et quelques tables de bureau sur roulettes qui vont être déplacées tout au long du spectacle. Dans ce cadre assez épuré, le jeu des acteurs est mis en avant et fait osciller les scènes entre la réalité et la fiction. Les comédiens interprètent un rôle mais, par moments, ils reviennent à la réalité à l’aide d’un jeu frontal et franc et de la vidéo qui filme un « ailleurs » où le rythme est différent. C’est l’espace-temps de la réflexion, le lieu où les comédiens prennent du recul par rapport aux scènes et où ils sont en recherche de sens par rapport au sujet.
Issu d’une écriture de plateau vivace et pétillante, Points de rupture aborde l’un des sujets cruciaux de notre époque et invite les spectateurs à réfléchir sur les conséquences de l’obéissance à tout prix ou d’une « désobéissance gentille ». Cependant, malgré l’incroyable travail des comédiens et la mise en scène entrainante, on reste un peu sur sa faim : c’est comme si le spectacle se terminait sur une sorte de récrimination déjà vue contre les gouvernements et les gouvernants et n’ouvrait pas à une réflexion plus poussée ou nouvelle, ou renouvelée.