Titre : Sur les traces de nos peurs
Auteur : Georges Duby
Editions : Textuel
Date de parution : 17 juin 2020
Genre : Essai, Interview, Histoire
Que l’on soit attablé en famille ou entre amis, au téléphone ou au hasard d’une rencontre, il est aujourd’hui difficile d’éluder le sujet de la Covid-19. Les jours se succèdent, les experts se confrontent à coup d’annonces médiatiques et les chiffres alarmants ne cessent de croître depuis cinq mois. Le résultat est sans appel : la peur a gagné du terrain et nous renvoie à notre propre vulnérabilité face aux épidémies. Un phénomène qui est loin d’être contemporain, comme le rappelle justement la réédition de l’entretien du médiéviste Georges Duby, décédé le 3 décembre 1996. Un ouvrage d’une petite centaine de pages qui confronte nos peurs avec celles de l’an 1000.
Narré sur le ton de l’interview, Sur les traces de nos peurs s’efforce de faire comprendre au lecteur les diverses craintes qui imprégnaient la société médiévale. De manière très didactique, celles-ci ont été divisées en cinq parties : la peur de la misère, de l’autre, des épidémies, de la violence et de l’au-delà. Vous l’aurez compris, l’idée est ici de faire un parallèle entre les peurs d’autrefois et celles du monde que nous connaissons aujourd’hui. Bien évidemment, beaucoup de choses ont changé dans la pratique (personne ne vient vous réclamer sous la menace une partie de vos récoltes inexistantes) mais c’est dans la perception humaine des évènements que se trouvent les plus grandes similitudes.
Comme aujourd’hui, la peur d’un monde décimé par une épidémie incontrôlable existait. Comme de nos jours, la crainte de se voir submerger par des hordes d’étrangers juifs, arabes ou autres était permanente. Parfois même, l’étranger pouvait être accusé des maux qui frappent l’état hôte, la région ou la cité. Oui, rien n’a changé… ou presque ! Et pour cause – et c’est toute la force de ce livre -, là où il y a d’innombrables similitudes, il y a également une quantité de différences, et pas forcément dans le bon sens. Ce phénomène se mesure, par exemple, dans la peur de la misère. Si cette dernière existait au moyen-âge, elle n’avait pas l’aspect solitaire que l’on peut connaître de nos jours comme l’explique Georges Duby : « Les travailleurs étaient écrasés sous le poids d’un petit groupe d’exploiteurs, hommes de guerre et hommes d’église, qui raflaient à peu près tous les surplus. Le peuple vivait en permanence dans la crainte du lendemain. En revanche, on ne peut parler de vraie misère car des relations de solidarité, de fraternité faisaient que le peu de richesse était redistribué. Cette solitude épouvantable du misérable que l’on voit de nos jours dans le métro n’existait pas ». Un paradoxe de notre époque qui se retrouve en plusieurs points.
En résumé, la volonté des éditions Textuel de rééditer ce précieux ouvrage pourrait, de prime abord, passer pour de l’opportunisme. Mais lorsqu’on se plonge dans celui-ci, on comprend très vite toute l’importance que ce témoignage d’historien a sur notre propre vision des défis de l’humanité, mais aussi que ceux-ci découlent pour la plupart du progrès et de la croissance. Une histoire à rééditer sans fin !