Scénario : Zabus
Dessin : Hippolyte
Éditeur : Dargaud
Sortie : 12 juin 2020
Genre : fable, aventure
Il y a certains hasards qui ne trompent pas : sur un étal chargé d’une librairie, noyé au milieu de tant d’autres, sa couverture chamarrée sur fond de nuit et son titre avaient déjà accroché mon regard. A la maison, j’ai lu Les ombres, ou plutôt devrais-je dire que j’ai dévoré cette BD d’une traite, avec une curieuse impression de familiarité dont je ne parvenais pas à me défaire. Celle-ci ne s’est expliquée que lorsque j’ai réalisé mes recherches sur l’auteur et le dessinateur (je préserve mon plaisir de lecture en me jetant à corps perdu dans les livres sans aucune attache ni préjugé, vierge de tout savoir).
Hyppolite et le Maître de Ballantrae
J’ai ainsi découvert que c’est à Vincent Zébus que l’on doit un texte qui a d’abord été mis en scène au théâtre. Intéressant, mais jusque-là, rien qui ne m’étonne particulièrement. C’est concernant l’illustrateur que ma surprise a été complète… Hippolyte. J’avais déjà rencontré ce nom dans le Maître de Ballantrae, adaptation BD du roman de Stevenson, dont les aquarelles avaient imbibé mon cœur de manière indélébile. Cette sensation diffuse d’un pinceau connu s’expliquait…
Et pourtant ! L’univers proposé se détache considérablement de ce que j’avais pu lire de ce dessinateur. Loin d’un roman d’aventure, c’est ici un récit engagé qu’Hippolyte et Zébus proposent au lecteur : l’immigration et l’exil en sont les thèmes majeurs. Le dessin, quant à lui, n’est plus aussi dilué et léger que dans Le maître de Ballantrae. Si les couleurs parfois s’effacent, ce n’est que pour mieux laisser place à des noirs et blancs qui évoquent la dureté des conditions d’un voyage forcé, à un désespoir tatoué d’encre noire. Les planches accueillent des ombres ciselées par des traits aigus et douloureux.
Certes, l’univers se décline toujours sous forme d’une fiction, loin d’un compte-rendu réaliste. Ainsi, au fil des pages et des pérégrinations des personnages rencontre-t-on sirène, ogre et autre monstre fantastique. Pourtant, le lecteur n’est pas dupe des métaphores qu’on lui soumet ; la fable est évidente et la critique de la société apparaît en filigrane sans qu’il faille même plisser des yeux.
La magie qui opère grâce au dessin
Mais, si la fantaisie est présente dans ce récit, la magie opère-t-elle vraiment ? Oui, nous affirment les Prix littéraire des lycéens et apprentis d’Ile-de-France et le Prix Laurence Trân qui applaudissent le travail des auteurs. Pourtant, il faut admettre que si on en apprécie la lecture, on n’est pas hanté par Les Ombres. Est-ce parce que les visages des personnages volontairement anonymes sont masqués, ce qui limite leur expressivité ? A moins que ce ne soit la narration, qui, bien que poétique, est dépourvue d’enjeu ? Malgré ces quelques critiques, et une intrigue au dénouement très attendu, il n’en reste pas moins que Les Ombres frappe l’imaginaire du lecteur grâce au doux-amer de couleurs et de monochrome de ses planches. Enfin, et c’est peut-être là l’essentiel, n’est-ce pas un exploit de toucher au plus juste d’une réalité en ne présentant qu’une apparente fantaisie ?