scénario : Vincent Zabus, Pascale Bourgaux
dessin : Thomas Campi
éditions : Dupuis, collection Aire Libre
sortie : 9 mai 2014
genre : BD reportage, documentaire
En mars 2010 Pascale Bourgaux, journaliste reporter à la RTBF, décide de retourner dans le village de Dasht-e-Qaleh au nord de l’Afghanistan, où elle se rend régulièrement depuis dix ans. Durant ce séjour en Afghanistan, Pascale retrouve son ami Mamour Hasan, un seigneur de guerre Ouzbek qui a combattu aux côtés du Commandant Massoud et défendu son fief contre les Talibans. Le bonheur des retrouvailles s’évapore vite lorsque la journaliste comprend que malgré son charisme et son autorité naturelle, Mamour a perdu de son pouvoir et ses idées démocratiques ne sont plus autant partagées. Des années de guerre, de corruption et de pauvreté ont peu à peu dissous les illusions de la jeunesse afghane, sans épargner Attah Ullah, son fils, qui ne se cache pas de souhaiter le retour des Talibans.
Les larmes du seigneur afghan est une sorte de making-of en dessins du documentaire du même titre sorti en 2011. Une mise en lumière du hors champ qui donne à voir l’invisible, et pas seulement en terme d’images mais aussi dans les faits, dont certains seraient passés à la trappe car ignorés par les médias de l’époque. Qui se cache derrière la caméra, derrière la voix-off ? On y découvre une journaliste engagée et passionnée qui ne recule devant rien, même la menace d’un enlèvement par les Talibans, pour comprendre les intrications complexes de la société moderne afghane. Le village de Dasht-e-Qaleh est-il l’allégorie d’un pays délaissé des occidentaux et rongé par l’amertume qui le fera basculer dans le radicalisme? On nous donne à voir des images authentiques d’un petit village afghan, les menaces et les contradictions qui le traversent, les doutes et les interrogations de Pascale qui, l’espace d’une BD, passe devant la caméra pour devenir personnage principal. La BD donne au documentaire dont il est issu l’opportunité de prolonger le travail journalistique sur un pays dont la situation ne laisse que le maigre espoir d’un avenir stable et prometteur. L’interrogation finale de la journaliste résonne comme un écho mélancolique sur son travail de reporter sur plus de dix ans : qui demain, s’intéressera encore à l’Afghanistan ?
Pourtant, est-il possible de créer une œuvre à partir d’une autre ? Peut-on faire un autre film en ne changeant que l’angle de la caméra ? L’illustration, plutôt réussie, ne parvient pas à donner le souffle nécessaire pour qu’une nouvelle œuvre, indépendante de sa source, surgisse. Malgré quelques splendides tableaux en pleine page et un trait qui donne à voir un Afghanistan lumineux, on regrette toutefois l’esthétique un peu statique du trait, sans doute due au fait que Campi n’ait pu se baser que sur des photos et le documentaire pour exécuter son travail. Peut-être ne lui a-t-on pas laissé assez de liberté. Il en résulte un certain nombre d’images reprises du documentaire dans des cases avec bandes noires 16/9. Malheureusement Les larmes du seigneur afghan peine à sortir de son statut bancal de making-of où l’on suit les pas d’un grand reporter qui ne parvient pas à sortir de l’ombre du véritable personnage de l’histoire : Mamour et l’avenir de l’Afghanistan. On a du mal à s’intéresser à autre chose qu’au sujet d’origine, celui du documentaire, qui se trouve ici parasité par le personnage de la journaliste. Pascale doute, ses enfants lui manquent, elle a peur, elle « hallucine » souvent face à une réalité qui la dépasse. Ses explications didactiques un peu condescendantes nous empêchent d’être portés par l’histoire (non, nous ne sommes pas tous des ignares qui ne sauraient placer Kaboul sur une carte, et nous savons que dans un conflit, tout n’est pas blanc ou noir – ah bon, il y a des européens méchants et des gentils qui aiment les Talibans ?). S’il est intéressant de connaître la vie de ceux qui risquent leur vie pour transmettre au monde la parole de ceux qu’on n’entend pas, il est difficile, à la fin de la lecture, de ne pas rester sur sa faim : on veut voir Mamour Hasan, sa famille, entendre leur voix, deviner le sourire des femmes de Dasht-e-Qaleh derrière leur burqa, entendre le grondement de la violence qui a fait trembler les ruines d’Aï Khanoum… A nous donc de surveiller la prochaine diffusion des Larmes du seigneur afghan – le documentaire.