auteur : Kaoutar Harchi
éditions : Actes Sud
date de sortie : 20 août 2014
genre : Drame, chronique familiale
Troisième roman de Kaoutar Harchi, dont c’est le deuxième chez Actes Sud, A l’origine notre père obscur traite de la libération d’une femme. Si le roman, qui a le mérite d’être remarquablement écrit, promet une délivrance retentissante, il souffre de quelques longueurs, d’un point de vue trop appuyé et d’un final trop léger par rapport à ce qu’il laissait présager.
Une jeune-fille grandit dans la maison des femmes, maison où les hommes ont enfermé celles qui ont fauté. Rêvant de s’en échapper, elle reste néanmoins attachée à sa mère, adorée de toutes mais qui la repousse continuellement. Elles attendent toutes deux le retour du père, qui les a cloîtrées pour une sombre histoire de famille.
Le début retentissant du roman promet dès le début une explosion dans l’intrigue, un renversement presque prophétique d’une société où les hommes sont tout puissants et où la prison des femmes se situe d’abord à l’intérieur de leurs têtes. On pense dès le début que le personnage principal va bombarder les murs de sa prison pour se libérer et libérer les autres. Dans cette promesse faite au lecteur, Kaoutar Harchi cristallise ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de A l’origine notre père obscur.
Dans un premier temps, elle a recours à un style puissant et qui touche à l’universel. Elle arrive à créer une fable presque biblique à l’instar des citations de la Genèse dont elle égrène sont récit au fil des différents chapitres. Elle incite donc ainsi son lecteur à décoder l’histoire de cette femme comme un récit universel et d’ainsi dépasser le stade de l’anecdote. Malheureusement, à force de vouloir se détacher de tout élément identificateur pour conserver cette universalité, elle affecte l’empathie pour son personnage principal.
Extraire ainsi son personnage nous pousse à le traiter comme une figure et non comme un être humain auquel nous pourrions nous identifier. Ce parti-pris n’affecte néanmoins en rien la force presque poétique de son écriture et elle réalise ici un texte qui s’apparente aux textes fondateurs. Mais en allant trop loin dans sa démarche, elle crée un texte relativement théorique. Aucun prénom ne lui sera donné, aucun lieu ne sera identifié, aucune société ne sera pointée du doigt et finalement, le récit fait preuve d’une certaine distance et manque de chaleur.
Dans un deuxième temps, la promesse qu’elle fait dès le départ de dynamiter tout un système patriarcal ne se concrétise malheureusement jamais et la force initiale du personnage principal se perd dans une quête d’amour paternel plutôt que de chercher à détruire ce « père obscur » qui a droit de vie ou de mort sur les femmes qui sont en sa possession. Le système demeure inchangé, le personnage n’a pas effectué sa mission, et A l’origine notre père obscur n’atteint donc pas l’objectif qu’il s’était fixé. Dommage, car la qualité de l’écriture de Kaoutar Harchi ainsi que la thématique et le personnage laissaient présager un grand livre plein de courage et de poésie. Le livre reste néanmoins très intéressant et mérite d’être lu pour la puissance de son écriture.