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    Le conte de la princesse Kaguya

    le conte de la princesse kaguya affiche

    Le conte de la princesse Kaguya

    de Isao Takahata

    Animation, Drame, Fantastique

    Sorti le 13 août 2014

    Si le nom d’Isao Takahata résonne moins que celui de Hayao Miyazaki, il n’en est pas moins une cheville ouvrière de première importance du Studio Ghibli. Rare, il aura livré l’inoubliable et douloureux Tombeau des Lucioles. 
Mais l’œuvre de Takahata est aussi celle d’un cinéma où la naïveté emprunte de légèreté est au premier plan comme dans Mes voisins les Yamada . Sur ce dernier film, Takahata renoue avec une tension dramaturgique forte et des enjeux d’ordre métaphysique, éloigné cependant du Tombeau des Lucioles par un radical refus du pathétique et une drôlatique légèreté (au moins dans son premier tiers). Une parfaite synthèse de son cinéma, en somme.

    Il aura fallu attendre 14 ans pour le retrouver, et le moins que l’on puisse dire, c’est que son retour est une grande réussite. Tout à la fois ambitieux, car épique, et intime, car faisant preuve d’une sensibilité à toute épreuve dans la description des personnages, le conte de la Princesse Kaguya est un sommet dans la filmographie du réalisateur, mais également du Studio Ghibli.

    La vie d’un vieil homme, coupeur de bambous, est radicalement transformée lorsqu’en forêt, il tombe sur un bien étrange présent : une véritable princesse miniature. Bien vite, celle-ci prendra l’apparence d’un bébé. Véritable don du ciel, lui et sa femme auront à cœur de l’élever et de lui assurer un avenir digne de son statut. Et si le passage de la campagne à la ville est un des tournants marquant du récit, une myriade de choix, d’enjeux, d’oppositions se dressent sur le parcours de la princesse Kaguya, devenue le temps d’un été une jeune femme que bien des prétendants auront à cœur de séduire.

    Et c’est par l’obsession de son père adoptif de chercher légitimer le statut de Princesse de sa fille par un glorieux mariage que le versant « adulte » du récit est entamé. Cela dit, cette plongée dans les tracas d’une vie bien éloignée de l’insouciance champêtre de la première partie amène encore à des situations tragi-comiques que l’écriture enlevée des dialogues rend particulièrement savoureuses. Notons par ailleurs l’excellence des interprétations : préenregistrées, les voix des acteurs ont formellement influencé la mise en image du récit.

    S’il s’inspire d’un conte traditionnel japonais très populaire – Le conte du coupeur de bambous – Takahata apporte une touche personnelle qui l’éloigne du récit originel : en se focalisant sur la princesse Kaguya, il apporte un point de vue nouveau. Élimant quelque peu le dessein moral du conte au profit de la mise en exergue de la subjectivité de Kaguya, il donne à son histoire une porte d’entrée non pas universelle dans son fonctionnement, mais dans son fondement : les émotions humaines. Et celles-ci sont moins amenées par le fait d’une destinée non voulue que celui qui porte à bout de bras cette destinée : son père adoptif. De papa-poule, il aura tôt fait de se transformer père autoritaire et carriériste, où l’enfant comme don du ciel (le couple n’avait pas d’enfants) devient l’objet transitionnel par excellence pour tenter d’accéder à un statut social plus élevé. Le spectre de la désillusion hante désormais les personnages… (Et si l’oblitération de la cellule familiale au profit d’un autoritarisme patriarcal affecte profondément Kaguya, cet autoritarisme découlant de la mutation dudit père porte en lui l’espoir des lendemains qui chantent).

    Sans succomber à la modernisation au forceps d’un récit japonais vieux de près de mille ans, Takahata réussit le tour de force de le rendre accessible sans le trahir, notamment grâce au lien créé entre Kaguya et les spectateurs. Soulignons que la musique – composé par Joe Hisaishi, fidèle compositeurs des films de Miyazaki depuis 1984- évite au film une profusion mélodramatique inutile, conférant à l’ensemble une stature digne, de la superbe.
 
Esthète, mais à la différence de son compère Miyazaki, pas dessinateur, Takahata nous livre ici un cinéma de l’esquisse, du trait et de la nuance graphique. Le résultat fait forte impression par son radicalisme plus que par un quelconque penchant réactionnaire. 
Les limites de ces techniques graphiques, où l’image de synthèse est bannie, est sublimée par un jeu magistral entre le mouvement et la fixité : couleurs chatoyantes de tissus volant dans les airs ou griffonnage quasi monocolore, le film s’autorise quelques discrètes avancées à la frontière de l’abstraction, à mesure que s’écoule le film et que grandissent les sentiments de pertes, d’amertume et de nostalgie.

    Julien Chanet
    Julien Chanet
    Journaliste du Suricate Magazine

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