Du 10 juillet 2019 au 19 avril 2020, le Musée Mode et Dentelle de Bruxelles présente l’exposition Beautiful Lace & Carine Gilson qui célèbre le patrimoine textile belge et les trente ans de carrière de Carine Gilson, créatrice de lingerie haute-couture bruxelloise passionnée par notre si belle dentelle.
Un savoir-faire artisanal 100% belge et reconnu à l’international
L’histoire de Carine Gilson, c’est un peu celle d’un conte de fée. La styliste bruxelloise étudie la mode à l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers dans les années 1980. Quand elle découvre Maille France au début des années nonante, c’est un petit atelier bruxellois oublié, débordant pourtant de merveilles de dentelles des années 1920, mais aussi d’un savoir-faire artisanal sur le déclin qu’elle s’évertuera de perpétuer. En 1994, elle crée sa marque de lingerie haute-couture, en faisant du travail de la dentelle et de la soie son atout majeur.
Au début des années 2000, les créations de Carine Gilson commencent à connaitre un succès international avec l’ouverture d’une boutique à Paris, et puis à Londres. Très vite, la créatrice est appelée à habiller des actrices, mannequins et même des chanteuses célèbres. Parmi elles, rien de moins que Nicole Kidman, Monica Bellucci, Kirsten Dunst, Emma Stone ou encore, pour les fans de films d’action, la Jame’s bond girl Bérénice Marlohe (alias Sévérine) dans Skyfall en 2012, ravissante dans un déshabillé ultra-chic face à 007.
Dans un souci d’éthique…
À cet égard, le parcours de Beautiful Lace & Carine Gilson insiste sur le succès international de la styliste belge. On peut ainsi découvrir quelques projections vidéo de ses défilés, mêlées à des images de publicités où l’on reconnait certaines actrices célèbres portant sa superbe lingerie le temps d’un shooting photo pour un magazine, ou d’une apparition cinématographique.
Mais ce qui plait particulièrement au cours de la visite de Beautiful Lace & Carine Gilson, c’est la visibilité donnée au spectateur de voir l’envers du décor, ainsi que l’accent porté sur les préoccupations éthiques de la marque. On insiste, au cours du parcours, sur les différences entre la production industrielle, générée par la plupart des autres marques de lingerie, et la production manuelle, plus artisanale, prônée par l’atelier Gilson.
Pour ce faire, bon nombre de vidéos sont diffusées, dans lesquelles on découvre entre autres un témoignage de la créatrice elle-même, ou encore les petites mains à l’oeuvre dans l’atelier bruxellois, qui en disent long sur la production artisanale. On reste hypnotisé à la vue des ouvrières au travail, détaillant les huit phases de production nécessaires à la réalisation d’une nuisette faite de soie et de dentelle. On comprend aussi la différence de qualité du produit final par rapport au travail à la chaîne. Et dire que, chaque année, ce sont 8000 pièces faites à la main par les fées-ouvrières qui sortent de l’atelier bruxellois de Carine Gilson…
Appel aux plus bricoleurs fascinés par la technologie, l’exposition présente certaines pièces des machines destinées à la fabrication de la dentelle, notamment de la maison Sophie Hallette, Carine Gilson et fournisseuse de la marque Gilson. La découverte des machines doit toutefois s’effectuer avec le guide du visiteur disponible à l’accueil, car les cartels explicatifs sont insuffisants. D’ailleurs, gros bémol, les explications sur cartels et dans le guide du visiteur concernant la production de dentelle aux fuseaux, visibles dans la dernière salle, sont vraiment trop peu développées avec, en plus, un vocabulaire spécialisé trop complexe pour pouvoir initier un visiteur lambda.
Un voyage magique au pays de la dentelle
Le plus impressionnant est, sans conteste, le travail réalisé autour de la scénographie. Alors qu’on pénètre dans l’exposition par un petit couloir étroit et sombre, un peu comme Alice dans son terrier à lapin, on est invité, en guise de prélude, à « marcher » sur de la dentelle. Cette projection de dentelle monumentalisée au sol, sur laquelle on hésiterait presque à s’avancer, un peu comme un magnifique gâteau que l’on n’ose goûter de peur de l’abîmer, on la retrouve régulièrement au long de l’exposition. En s’avançant un peu plus, on est surpris de ne pas découvrir une pièce de Carine Gilson dans la première vitrine, mais bien un gant datant de 1924, sublime, en dentelle noire de Bruxelles issu des collections du musée.
Le ton nous est donné : comme le titre de l’exposition nous l’indique, Beautiful lace&Carine Gilson n’expose pas uniquement le travail de la créatrice. Il s’agit avant tout de célébrer un savoir-faire et un patrimoine textile belge apparu à la Renaissance, ensuite revisité et sublimé par la styliste bruxelloise. C’est Carine Gilson elle-même qui a plongé, à deux mains, dans les collections du musée, faites de dentelles vieilles de 200 ans, pour en repêcher les plus belles. Un dialogue historique et visuel s’instaure alors entre les pièces du musée et les créations de la styliste belge. Par ce biais, on découvre aussi l’évolution du travail de la dentelle dans la fabrication des sous-vêtements féminins depuis le XVIe siècle : des premiers corsets fabriqués à la main jusqu’aux sous-vêtements actuels créés par Carine Gilson.
On voyage dans le temps, et on se laisse porter au fil des salles où, dans l’obscurité, les jeux de lumière et les installations proposées par la scénographie participent pour beaucoup à la constitution de ce jardin d’Eden. Entre les projections de motifs de dentelles colorées ci et là au sol, sur les murs, ou encore au plafond, on distingue des oiseaux exotiques multicolores qui papillonnent sur des branches d’arbres entre les vitrines. Les couleurs chatoyantes et la finesse de leur plumage réchauffent l’espace d’exposition plongé dans l’obscurité. Comme une personnification de la beauté, de la qualité, et du souci du détail du savoir-faire des créations et de l’atelier de Carine Gilson. Pour peu on les entend chanter, on se transforme en oiseau du paradis et on s’envole. On s’improvise alors fée ou impératrice japonaise dans ce jardin paradisiaque, vêtu(e) de l’un de ces sublimes kimonos de soie colorés.
Ce qu’on adore, c’est la plongée dans le book des inspirations de Carine Gilson qui nous dévoile sans filtre son univers. Des images sont disposées, superposées, en désordre, à même le sol dans certaines vitrines. Comme André Malraux et son musée imaginaire, Carine Gilson nous pousse, en balayant d’un coup d’œil toutes ces images, à des rapprochements visuels entre ses différentes sources d’inspiration. On passe des peintures de célèbres artistes impressionnistes, aux photographies et publicités de mode des années 1920, ou encore à l’architecture Art Déco, et des photographies anciennes de Japonaises vêtues de leur kimono.
La femme chez Carine Gilson : ange et démon
Ce contraste entre la couleur des créations et l’obscurité du lieu nous plonge dans un monde à la fois merveilleux, mystérieux et sombre. Rappelons que, dans la Bible, le jardin d’Eden n’est pas que le paradis, sensuel, de tous les plaisirs. C’est aussi un lieu effrayant, celui où Adam et Eve succomberont à la tentation en mangeant le fruit de l’arbre de la connaissance, et seront alors punis par Dieu. N’est-ce pas, pour Carine Gilson, un moyen d’exprimer aussi les différentes facettes de la femme ? Une femme à la fois douce et forte, sensuelle et séductrice, ange et démon. Plus loin dans le parcours d’exposition résonnent d’ailleurs comme un écho les paroles d’une chanson de Britney Spears :
Tu es toxique […] avec un goût de paradis empoisonné, je suis accro à toi, ne sais-tu pas que tu es toxique ?
Une robe, en particulier, illustre cette femme à double face imaginée par Carine Gilson. Faite de tulle et dentelle noire, elle s’accorde à l’ambiance obscure du lieu. D’un premier abord, il semble s’agir d’un costume, créé pour une danseuse de ballet russe. Pour rester dans la famille des oiseaux, on la verrait d’ailleurs bien portée par Odile, du lac des cygnes, sur un arrière-fond musical de Tchaïkovski. Rappelons que le ballet nous raconte que le cruel cygne noir n’est autre que le sosie d’Odette, le cygne blanc et pur dont s’est épris le prince. Finalement, Odile et Odette ne seraient qu’une seule et unique femme : elles illustreraient les deux extrêmes du bien et du mal résidant en chaque être, un peu comme la vision de la femme chez Carine Gilson.
Ces robes, nuisettes, kimonos et déshabillés sont tellement ravissants qu’on les porterait bien le soir, pour faire comme Sylvie Vartan et être la plus belle pour aller danser. Mais, enivrés par ces « chantilly lace » qui nous ravissent la vue, on reste sur sa faim quand on découvre que le parcours d’exposition est plutôt bref. Le petit plus ? L’atelier final, qui nous remonte le moral après la déception d’une envolée si courte au pays des merveilles. Au menu, différents échantillons de matières nous sont offerts : un carré de soie, de dentelle et puis de gaze. En plus de pouvoir toucher et découvrir les tissus, on est invité à les découper, les déchirer et les nouer pour fabriquer une création personnelle. Styliste d’un jour, notre œuvre ira rejoindre celles d’autres visiteurs sur le pan d’un mur du musée, déjà couvert de tissus multicolores, un peu comme un arbre à prières…
Infos pratiques
- Où ? Musée Mode et Dentelle, 12, Rue de la Violette, 1000, Bruxelles.
- Quand ? Du 10 juillet 2019 au 19 avril 2020, du mardi au dimanche de 10h à 17h.
- Combien ? 8 EUR au tarif plein. Tarifs réduits disponibles.