Mille fois bonne nuit
d’Erik Poppe
Drame
Avec Juliette Binoche, Nikolaj Coster-Waldau, Chloe Annett, Lauryn Canny, Maria Doyle Kennedy
Sorti le 30 juillet 2014
Critique :
Gravement blessée à la tête lors d’une attaque à la bombe sur un marché de Kaboul alors qu’elle suivait un groupe de femmes terroristes, Rebecca, une des plus grandes photographes de guerre au monde, retourne chez elle, en Irlande, pour se remettre de ce traumatisme. Le choc n’a pas ébranlé qu’elle : Marcus, son mari, lui fait comprendre qu’il ne supporte plus l’angoisse à chacun de ses départs en reportage, dont il n’est jamais certain qu’elle revienne. Rebecca décide alors de renoncer à couvrir des zones de combat et de prendre du temps pour son couple et ses deux filles de 7 et 13 ans. Mais peut-on vraiment échapper à sa passion, si dangereuse qu’elle soit ?
Contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un réalisateur qui a lui-même une expérience de photo-journaliste, A thousand times good night (Mille fois bonne nuit) n’est pas un film qui s’interroge sur le métier de photographe de guerre, son sens et ses ambiguïtés – sujet potentiellement passionnant. La réflexion sur la spécificité du métier de Rebecca est bien superficielle : ce qui l’anime, c’est « la colère » ; ses photos « sont puissantes » ; sa fille adolescente finit par comprendre que les enfants qui souffrent ont « plus besoin de sa mère qu’elle-même ». À l’exception de la dernière scène, où le pouvoir de la photographie est questionné, ce sont plutôt les clichés et les bonnes intentions, soutenant la vision d’un photoreporter héroïque, qui dominent : rien sur le rapport au réel et à l’image, rien sur la complexité des motifs qui poussent une mère de famille à parcourir le monde et à y risquer sa peau.
Si on s’arrête à cet aspect, le film ne peut que décevoir. Pour lui donner une chance, il faut accepter l’idée que la caméra d’Erik Poppe regarde en réalité ailleurs : ce qui l’intéresse, c’est le drame intime, la réadaptation au quotidien d’une femme dont la routine est rythmée par la violence et le sang, les relations entre enfants et parents. Quand il se penche sur ces scènes de la vie familiale, sur les petites choses de la vie de tous les jours, il est plutôt touchant et juste. Les rapports entre Rebecca et sa fille adolescente sont saisis avec finesse, et la tendresse parfois maladroite qui émane de cette famille parvient à nous émouvoir. L’interprétation subtile de Juliette Binoche, écartelée entre le goût de l’urgence et du témoignage et l’aspiration à la tranquillité parmi les siens, y est pour beaucoup, tout comme celle de Lauryn Canny, qui joue la fille adolescente, à la fois distante et fascinée par sa mère.
Dès qu’on accepte A thousand times good night pour ce qu’il est – une évocation des compromis qu’exige la vie familiale et du métier de mère au quotidien, à la réalisation très classique – on se laisse agréablement prendre à cette peinture des liens familiaux, jamais ennuyeuse : Erik Poppe les observe dans toute leur profondeur et leur complexité, bien loin de la manière trop superficielle avec laquelle il aborde le photo-journalisme.