La Femme de mon frère
de Monia Chokri
Drame
Avec Anne-Elisabeth Bossé, Patrick Hivon, Sasson Gabai
Sorti le 17 juillet 2019
On la connaissait en tant qu’actrice (Lawrence Anyways, Les Amours imaginaires, ou encore Emma Peeters), mais dans La Femme de mon frère, c’est la casquette de réalisatrice que Monia Chokri enfile. Et la Québécoise n’hésite pas à se servir de sa carrière de comédienne et à s’inspirer des films dans lesquels elle a tourné pour se créer une identité artistique. On retrouve bien sûr un peu de Xavier Dolan dans ce premier long-métrage, tant dans les couleurs que dans la poésie de la mise en scène. Mais loin d’être une pâle copie, elle se détache aussi de l’univers du jeune prodige québécois en proposant une comédie légère enrobée d’humour noir.
Le pitch est d’ailleurs un classique du genre. La trentaine bien sonnée, Sophia affronte la détresse de sa vie avec humour. Doctorante en philosophie, elle enchaîne les petits boulots qui dévalorisent son potentiel et vit aux crochets de sa famille. En Bridget Jones québécoise, elle essuie aussi les échecs amoureux. Et quand son frère, avec qui elle entretient une relation fusionnelle, se met à sortir avec sa gynécologue, rien ne va plus.
De prime abord, on se demande comment un scénario aussi simpliste a bien pu séduire le public de Cannes au point de gagner le prix coup de cœur du jury dans la section Un Certain Regard. Mais les raisons de ce choix sont visibles dès les premières minutes du film. En imaginant des caractères tant complexes que cohérents et en proposant des dialogues drôles et intelligents, Monia Chokri parvient à exploiter les codes de la comédie avec profondeur et justesse. La Femme de mon frère n’est pas seulement un film bien fait, c’est aussi un film inventif qui propose un univers déjanté et caustique.
Et de la même manière qu’elle exploite les clichés de la comédie, Monia Chokri exploite les clichés liés aux genres. Sans cesse reviennent les couleurs roses et bleues, comme pour se moquer des symboles réducteurs qui définissent la complexité des relations hommes/femmes. On l’aura compris, l’esthétique et la dynamique du film sont aussi importantes. Et la Québécoise va non seulement jouer avec l’image mais aussi avec le montage, notamment en opérant des cuts très francs. On remarquera qu’une autre des forces du film est son casting. Les acteurs correspondent exactement au caractère qu’on essaye de leur prêter. Il n’y a aucune fausse note tant dans les personnages principaux que dans les secondaires.
Et pour toutes ces raisons, les deux premiers tiers du film sont une vraie réussite. La Femme de mon frère est émouvant, réaliste et drôle à la fois. Malheureusement, ça se dégonfle un peu dans le dernier tiers. Monia Chokri troque la singularité de sa mise en scène pour une fin trop attendue. Et c’est d’autant plus marquant que le dénouement un peu cheesy dénote avec le reste. Sophia opère un changement à 360 degrés, moins dans sa personnalité que dans son rapport au monde, mais ça reste perturbant. La Femme de mon frère, c’est comme une histoire d’amour dont on essaie de ne se souvenir que du début parce que sa fin ne lui rend pas justice.