De Heinrich von Kleist. Mise en scène Thibaut Wenger. Avec Cécile Maidon, Julia Le Faou, Nelly Latour, Pauline Gillet Chassanne, Fanny Cuvelier, Marie Bruckmann, Aaricia Dubois, Ipek Esra Kinay, Lucie Montay, Elisa Peters, Louis Sylvestrie, Pedro Cabanas, Nicolas Patouraux, Mikael di Marzo et Hugo Favier. Du 2 au 6 avril 2019 au Théâtre Océan Nord. Photo de Michel Boermans.
« Les personnages de Kleist sont à la poursuite d’un but qui s’éloigne d’eux à mesure qu’ils le poursuivent » Compagnie Premiers Actes
La pièce Penthésilée d’Heinrich von Kleist, poète et dramaturge allemand du 18è siècle, nous conte l’histoire d’une passion destructrice. D’un amour né contre toute attente entre Penthésilée, reine des Amazones et Achille, roi des Grecs. Ces deux personnages a priori inébranlables et décisionnaires, idolâtrés par leurs peuples, vont se retrouver dépassés par cette force qui les conduit malgré eux. Achille finira par négliger la guerre de Troie pour sa belle, mais la trajectoire de cette dernière sera bien plus complexe. En effet, tiraillée entre les règles des Amazones, son devoir de leader et son désir réel envers Achille, elle finira par tuer son aimé avec une violence inouïe avant de venir mourir à ses côtés.
Ce texte de Kleist aux longues tirades et au phrasé ancien aurait pu en dérouter plus d’un. Ce n’était pas le cas grâce au jeu des 15 acteurs et à la mise en scène actuelle de Thibaut Wenger. En effet, on se retrouve face à des interprétations que l’on ne soupçonnait pas. Achille et ses acolytes, héros de légende, perdent de leur superbe pour se métamorphoser en italian lovers aux intonations détachées, ce qui crée le rire au sein de la trame dramatique. Les Amazones, fidèles au respect de la tradition, y mettront également leur grain de sel humoristique. Le duo entre Penthésilée et Prothoé, joué par Cécile Maidon et Julia Le Faou, nous fera, quant à lui, plonger au cœur de la tragédie, pour nous livrer avec force la guerre que la reine des Amazones est en train de livrer contre elle-même. Chacun des acteurs contribuera, à sa manière, à nous faire entendre la musique du texte, à s’en détacher pour mieux y replonger et nous faire parvenir ses méandres.
C’est également une pièce dans laquelle les esthétiques s’entrechoquent et à laquelle on ne saurait pas donner une époque précise. L’entièreté du spectacle se passe dans un même décor dans lequel un arbre déraciné jonche le sable et dont la lumière vient en éclairer la poussière de ce qu’il reste après la bataille. Une scénographie qui porte déjà en germe le message de la fin dans un décor de légende. Les costumes hétéroclites viennent, quant à eux, apporter un nouveau contraste. Ces tenues, entre vêtements ordinaires et costumes de théâtre, rajoutent une dose d’humour tout en nous montrant que la symbolique visuelle part dans plusieurs sens, comme ça peut être le cas face au tiraillement du genre humain que l’on nous présente.
Penthésilée était un projet ambitieux que le théâtre Océan Nord a su encourager. Si le texte n’était pas facile à faire entendre, les 15 acteurs y sont arrivés avec brio nous faisant sentir la tragédie d’une reine morcelée qui lutte contre ce qu’elle porte en elle, tout en nous faisant rire à certains moments. Une tragédie aux multiples facettes dont la virtuosité de la langue nous atteint encore aujourd’hui.