Peterloo
de Mike Leigh
Drame historique
Avec Rory Kinnear, Maxine Peake et Pearce Quigley
Sorti le 16 janvier 2019
Peterloo est un film historique qui rend hommage aux ouvriers massacrés il y a 200 ans à Manchester alors qu’ils manifestaient pacifiquement pour réclamer le suffrage universel. Le 16 août 1819, plus de 60 000 hommes, femmes et enfants s’étaient donnés rendez-vous à St Peter’s Fields, au centre de Manchester, pour écouter Henry Hunt. Ce militant radical prônait une réforme parlementaire en faveur d’une meilleure représentation démocratique du peuple ainsi que l’abolition des Corn Laws. Bien que destinées à protéger les agriculteurs anglais, ces restrictions sur l’importation de grain étaient en effet impopulaires au sein de la classe ouvrière qui les rendaient responsables de la hausse du prix du pain.
La peur de la « populace »
Comment une manifestation pacifique a-t-elle dégénéré au point de causer une quinzaine de morts et plus de 700 blessés ? Pourquoi la milice gouvernementale, appelée à la rescousse par les notables locaux, a-t-elle décidé de charger la foule et de disperser les manifestants à coups de sabre et de crosse ? Mike Leigh semble vouloir expliquer le drame par une haine et un mépris viscéral entre les classes laborieuses et la bourgeoisie. La manifestation elle-même n’est mise en scène que dans la dernière demi-heure du film (qui dure quand même 2h30 !) et le réalisateur s’intéresse avant tout à sa préparation.
Du côté des ouvriers, un groupe de militants s’évertue à créer une conscience politique parmi les masses. Même les femmes s’organisent, à travers la Manchester Female Reform Society. Du côté des puissants, on craint des débordements et on cherche par tous les moyens à maintenir le peuple dans l’ignorance et la peur. En utilisant fréquemment des (très) gros plans pour filmer les visages des orateurs aux deux extrémités de l’échelle sociale, Leigh souligne l’importance de la rhétorique dans la mobilisation politique à une époque où les moyens de communication sont limités, et où l’écrit n’est pas toujours accessible aux plus démunis.
Un réalisme poussé
Les visages des acteurs sont d’ailleurs frappants de réalisme : dents jaunies et déchaussées, cicatrices, couperose… les conditions de vie des ouvriers se reflètent dans l’usure des corps. Les costumes comme les dialogues montrent un réel souci de vraisemblance historique. Les relations entre hommes et femmes sont elles aussi représentées de manière fidèle : si on discute ensemble de politique dans les chaumières, les rallyes politiques en amont des manifestations de masse restent principalement masculins.
Mais la force du film est aussi sa faiblesse. Face à tant de réalisme, on manque de romanesque. Pas d’intrigue amoureuse ni de véritable suspense. La multiplication des personnages rend difficile l’identification du spectateur, même si l’on s’attache à la famille de Joseph, un jeune soldat revenu traumatisé de la bataille de Waterloo et cherchant un travail pour subvenir aux besoins de sa famille. Un parallèle est d’ailleurs fait entre la boucherie de Waterloo et le massacre de Peter’s Fields, donnant lieu au néologisme de « Peterloo » – une invention des journalistes de l’époque. La grande Histoire prenant le pas sur la petite histoire, on ressort du film avec l’impression d’avoir été immergé au sein d’un moment clé du mouvement ouvrier anglais, mais sans avoir véritablement vibré avec ses acteurs.