Las Herederas
de Marcelo Martinessi
Drame
Avec Ana Brun, Margarita Irun, Ana Ivanova
Sorti le 9 janvier 2018
Héritières issues de la bourgeoisie paraguayenne, Chela et Chiquita vivent ensemble sans jamais avoir réellement eu besoin de travailler. Alors que leur héritage s’estompe peu à peu, Chiquita est poursuivie pour fraude fiscale et emprisonnée durant quelques mois. Livrée à elle-même, Chela devra découvrir une réalité dont elle s’était protégée toute sa vie, contrainte de vendre ses biens et de véhiculer sa voisine fortunée. Ainsi, elle rencontrera Mara, femme forte et indépendante qui lui montrera le chemin vers l’émancipation…
Les Héritières jouit d’une très jolie esthétique, d’éclairages travaillés et de prestations impeccables de ses actrices. En tête de liste, Ana Brun dont il s’agit de la première apparition à l’écran – à près de soixante ans –, et qui parvient à composer un personnage fragile, éteint, dépossédé de lui-même. Une interprétation qui lui a déjà valu de recevoir l’Ours d’Argent de la meilleure actrice au Festival international du film de Berlin et d’être nommée au Festival du film latin de Lima ou encore au Festival international du film de Seattle !
Par-dessus tout, ce premier long-métrage de Marcelo Martinessi offre énormément de retenue, à tel point que le spectateur pourra souvent être décontenancé et plongé dans une certaine incompréhension. Beaucoup de questions sont laissées en suspens : qu’est-ce qui unit Chela et Chiquita ? D’où leur vient leur héritage ? Pourquoi Chela est-elle accusée de fraude fiscale ? Ces interrogations auront quelque chose de déboussolant et le film souffrira par conséquent de certaines lenteurs qui pourront en rebuter certains.
Mais en un sens tout cela importe peu, car Les Héritières comporte un propos de fond qui va au-delà de ces considérations. Il s’agit en réalité de montrer le cheminement d’une sexagénaire homosexuelle ayant toujours vécu à l’abri du tumulte du monde. Tout le reste est donc dispensable ! À plus forte raison dans la mesure où le film apparaît dans un pays qui rejette encore souvent l’homosexualité, comme l’indique l’actrice Ana Brun dans une interview à la BBC : « Ya tenemos detractores, porque somos viejas y encima lesbianas (en la película). Pero afortunadamente creo que hay más aceptación que rechazo » [« Nous avons des détracteurs parce que nous sommes vieilles et, par-dessus tout, lesbiennes (dans le film). Mais heureusement, je pense qu’il y a plus d’acceptation que de rejet »].
Pourtant, s’il porte à l’écran des thématiques que d’aucuns pourraient considérer comme étant tabous, Marcelo Martinessi choisit de laisser de côté l’angle de la provocation pour construire un propos subtil sans axer l’intégralité de son récit autour de l’orientation sexuelle des personnages. C’est donc la confrontation de Chela au monde qui servira de fil rouge à l’intrigue.
Au moment d’entrer en prison, Chiquita engagera une gouvernante pour s’occuper de Chela et lui apporter chaque jour un plateau déjeuner. À travers cela, elle pourra maintenir une certaine influence en perpétuant les habitudes confortables de sa compagne. Ainsi, le plateau deviendra d’une certaine manière le symbole de la sujétion de Chela. Mais lorsque la voisine viendra demander à cette dernière de la véhiculer, elle lui offrira une échappatoire, la voiture devenant une fenêtre sur le monde ! Cette ouverture sera plus tard renforcée par l’entrée en scène de Mara, femme forte et indépendante qui donnera à Chela un exemple à suivre et une possibilité de se recréer ; Chela adoptera alors le surnom de « Poupée » que lui donnait son père lorsqu’elle était enfant.
En conclusion, Las Herederas est un film parfois difficile à suivre en raison de certaines lenteurs. Mais il offre une vision subtile du combat mené par une sexagénaire pour tromper l’ennui de la prison dans laquelle elle s’est laissée enfermer par confort et par paresse. Rien n’est jamais réellement explicite dans ce film et cela ne rend que plus beau le récit, car le spectateur sera malgré lui plongé dans la même incompréhension que Chela, avant de la voir s’évader d’elle-même !